En octobre 2022, Alexis Michalik présentait son nouveau film, "Une histoire d'amour", à la 9e édition du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz. Pour l'occasion, nous avions rencontré le réalisateur, scénariste et comédien, qui nous avait notamment parlé de son envie de faire "rire à travers les larmes".
Une histoire d'amour : un superbe mélodrame
Le deuxième film d'Alexis Michalik (Edmond), adapté de sa pièce éponyme, débute sur une rencontre. Katia (Juliette Delacroix) et Justine (Marica Soyer) ont un véritable coup de foudre. Les premiers mois passés à deux sont idylliques et progressivement, l'envie d'avoir un enfant voit le jour.
Mais plusieurs événements viennent chambouler leur bonheur. Condamnée, Katia demande de l'aide à son frère William (Alexis Michalik), qui n'a lui non plus pas échappé à la malédiction familiale et à l'impossibilité de vivre heureux jusqu'à la fin des temps.
En seulement 1h30, Une histoire d'amour parvient à raconter plusieurs vies et leurs différents chapitres avec un rythme prodigieux et une sincérité bouleversante. Un long-métrage qu'Alexis Michalik était venu présenter lors de la neuvième édition du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz. L'occasion d'évoquer avec lui cette incursion dans le mélodrame, le besoin de dynamiser constamment ses récits et l'envie d'émouvoir tout en combattant la tristesse avec "un humour de résistance".
Rencontre avec Alexis Michalik
Est-ce que le fait de vous attaquer au mélodrame, qui n'est pas le genre le plus évident, vous faisait peur ?
Alexis Michalik : Non. Je ne m'attaque jamais à un genre, je ne me dis jamais : "Allez, je vais faire un film d'horreur". C'est vraiment l'histoire qui me porte. Et quoi qu'il en soit, il faut juste que l'histoire me touche, que je sois ému. Si je suis ému, je me dis que ça va émouvoir d'autres personnes.
Là, c'est une histoire en deux étapes puisque ça a d'abord été une pièce, puis un film. Pour la pièce, j'en ai eu l'idée en écoutant une chanson, It Takes Time To Be a Man, du groupe The Rapture. Souvent, quand j'écoute des musiques et que je commence à avoir des scènes qui me viennent en tête ou des dialogues, je vais réécouter la musique dix fois, vingt fois, jusqu'à ce que ça se précise.
Et là, j'avais une scène très précise en tête qui s'est avérée être la dernière scène de la pièce. Je voyais cette dernière scène, je voyais comment ça allait se terminer, avec un mec, assis sur un canapé en train de fumer une cigarette, et cette gamine de douze ans et cette danseuse qui est sa femme. Je voyais très clairement cette fin mais je n'avais pas la pièce, je n'avais pas l'histoire.
Et puis, pendant un an, j'ai commencé à chercher l'histoire et à réfléchir à ce que serait le début de cette histoire d'amour entre ces deux femmes, etc. À peu près un an plus tard, j'ai moi-même traversé une rupture. Alors que j'étais au fond de ma tristesse, je me suis dit : "Est-ce que c'est pas le moment d'écrire cette histoire ?" C'était le moment de parler du deuil, de la souffrance, de la perte de l'amour. Et cette pièce est sortie très vite. Je l'ai écrite vraiment en quelques jours.
Ensuite on a trouvé un théâtre, puis un casting. Ça s'est fait de manière inattendue parce que j'étais en vacances dans le sud avec mes amis. On était une dizaine et je leur dis : "Tiens j'ai écrit cette pièce, est-ce qu'on pourrait faire une lecture ?" Parmi mes potes, il y avait Juliette Delacroix et Marica Soyer. Donc je leur dis : "Juliette, tu n'as qu'à lire Katia et toi Marica, tu n'as qu'à lire Justine". Trente minutes plus tard, tout le monde était en larmes. En arrivant à la fin, on s'est dit que c'était incroyable, qu'on avait vraiment trouvé notre trio. Donc on a créé la pièce ensemble et on a vécu une aventure incroyable.
À quel moment est venue l'envie de la transposer au cinéma ?
Alexis Michalik : La pièce a ouvert en janvier 2020 et très tôt, on m'a dit que ça ferait un bon scénario de film. Mais je n'étais pas sûr... Je me disais peut-être, mais le temps que la pièce se fasse, pas avant deux/trois ans. Sauf que le confinement est tombé en mars 2020, donc deux mois et demi après la première.
Du coup, ça a été le début de l'adaptation. Contrairement à Edmond, qui a d'abord été un film dans ma tête avant d'être une pièce, là je voulais vraiment qu'il y ait une adaptation. Comme le sujet n'est pas le théâtre, je ne voulais pas du tout qu'on puisse ressentir que c'est une adaptation d'une pièce. Je ne voulais pas du tout qu'il y ait un aspect théâtral dans le film.
Donc j'ai cherché comment faire un objet de cinéma, à la fois dans le récit, dans le montage, dans les sauts temporels. Et suite à ça, on a fini par trouver des financements déjà, on a créé notre boîte de production, ACME Films, pour pouvoir le faire avec les deux actrices originales. Ce qui est une démarche assez rare.
On ne savait pas si on allait pouvoir trouver des financements qui allaient nous suivre avec ce casting. On l'a proposé à plusieurs personnes, plusieurs distributeurs. Mais dans notre tête, ceux qu'on voulait vraiment, c'était Le Pacte. On s'est dit qu'il s'il y avait un distributeur qui pouvait sortir le film avec la distribution originale de la pièce, c'était eux. Donc ils nous ont suivis, heureusement, et France 2 aussi et Canal+ aussi. On a su en décembre 2020 qu'on allait pouvoir faire le film, on a tourné dans la foulée, et voilà.
Il y a beaucoup d'idées de mise en scène pour dynamiser la narration, faire des transitions et parfois accélérer le récit. Elles vous venaient au moment de l'écriture, de l'adaptation ?
Alexis Michalik : Il y en a qui venaient dès l'écriture, effectivement, qui étaient déjà dans le scénario. Ce qui est marrant, c'est qu'effectivement, ces transitions, je les utilisais encore plus à l'écriture pour enchaîner les séquences. Vraiment, il y avait deux minutes de séquences qui s'enchaînaient avec des transitions comme ça.
Et puis, le montage, c'est vraiment une étape où on réécrit le film. Même si j'avais tout conçu pour que ça s'enchaîne pendant deux minutes, on s'est dit qu'on en avait pas besoin, qu'il fallait resserrer. On a fait beaucoup beaucoup de versions de montage, 25 ou 26 je crois. Ce qui est marrant, c'est que la première version du film durait à peu près 1h45/1h50. La pièce dure 1h26/27. Je me suis dit que dans le film, on allait pouvoir explorer un peu plus l'histoire d'amour entre les deux femmes, qu'on allait avoir plus de scènes, etc. Sauf qu'on s'est rendu compte que quant tout va bien dans une histoire, on s'ennuie.
Donc on a beaucoup resserré cette partie de l'histoire parce que tout allait bien. Et au final, quand on est arrivé à la fin du montage, on s'est rendu compte que le timing du film est exactement le même que celui de la pièce. Ce ne sont pas les mêmes scènes, mais ce sont les mêmes mouvements. Le rythme de la pièce s'est appliqué au cinéma. Donc il y a des idées de mise en scène qui étaient dans l'écriture et d'autres qui sont arrivées sur le tournage.
Je ne suis vraiment pas un maniaque du découpage. Évidemment, on a un peu réfléchi en amont, mais si on trouve quelque chose de mieux, on va suivre cette voie. Au cinéma, en général, le temps c'est de l'argent. Donc soit on a vraiment les moyens et on peut prendre le temps de chiader une scène, soit c'est un vrai challenge, comme c'était le cas ici, parce qu'on a décidé de faire rentrer 56 décors en 30 jours de tournage. Dans ce cas-là, on n'a pas le temps de dépasser et donc il faut que je trouve une solution quoi qu'il arrive. Il vaut mieux qu'il y ait un plan tourné plutôt que rien. Donc si ça ne marche pas, c'est pas grave, il faut que je m'adapte et que je change.
Le tournage avait l'air très intense. Vous aviez tout ce qu'il vous fallait au montage ?
Alexis Michalik : Finalement, le montage, c'est aussi un endroit où on peut inventer des scènes, où on peut créer de la mise en scène, où on peut faire raconter des choses à la scène qui n'étaient pas dedans. Couper, rajouter, rallonger des temps...
Je suis un obsédé du rythme donc sur le tournage, ça allait très très vite. Et parfois, au montage on se dit : "Ah, j'aimerais bien que ça dure un peu plus longtemps ce plan". Et on va le chercher ailleurs du coup, on va l'allonger artificiellement pour laisser juste 3/4 secondes sur un personnage qui regarde ou qui ressent quelque chose.
Sur Edmond ça a été beaucoup plus vite. Je savais tellement ce que je voulais qu'il n'y a pas eu de place au doute. Là, il y a vraiment eu... J'ai découvert sur ce film à quel point le montage peut être une étape où on réécrit un film.
Le récit est très riche et pourrait presque être scindé en plusieurs films, ou du moins être étalé sur une durée bien plus longue.
Alexis Michalik : Ça c'est moi, je n'aime pas l'ennui. Aujourd'hui, j'ai l'impression que dans notre façon de raconter des histoires, on est tellement habitués aux séries, à la télé, aux pubs, aux formats courts... Tout va très très vite, le montage est très serré. Aujourd'hui on raconte des histoires en dix secondes sur un téléphone, donc prendre le temps, pour moi c'est risquer de perdre des gens en route, en fait.
Oui je peux prendre mon temps pour me faire plaisir mais si je veux qu'on arrive dans ces cinq dernières minutes et qu'à aucun moment on ait regardé sa montre, j'ai besoin d'avoir un rythme permanent. Après, il y a évidemment des films où un plan va être magnifique parce qu'il va justement être très long. Moi par exemple, j'adore les œuvres-fleuves, j'adore les séries, j'adore les longs films. Mais il faut qu'il y ait toujours du récit. "Le diable, c'est l'ennui", disait Peter Brook au théâtre. Je pense que ça s'applique un peu partout.
Écrire pour le cinéma et écrire pour le théâtre, ce sont deux exercices complètement différents. Il y en a un que vous trouvez plus compliqué que l'autre ?
Alexis Michalik : Mon ADN, c'est le théâtre, donc forcément c'est très naturel d'écrire pour le théâtre. Au théâtre, je vais avoir des idées de mise en scène un peu immédiates, alors qu'au cinéma, je suis un jeune réalisateur. Ce n'est que mon deuxième film. Je perçois et je remarque que j'ai encore beaucoup de choses à apprendre au cinéma. À chaque fois que je vois un film réussi et qui me plaît, je me rends compte de toute l'inventivité qui est déployée, et je me dis que je n'aurais jamais pensé à telle ou telle chose.
Heureusement, je m'entoure de personnes qui vont combler ces lacunes. Globalement, je ne suis pas quelqu'un de très visuel, je suis quelqu'un de très narratif. Mon truc c'est de raconter une histoire. Donc diriger des acteurs, mettre du rythme, mettre des dialogues etc., ça c'est ma patte. Par contre, quand il s'agit d'imaginer quelque chose visuellement, je suis une quiche, donc j'ai besoin d'avoir des gens qui eux vont m'apporter cette vision-là et qui va être une vision qui correspond à ce que j'ai envie de raconter.
Si je continue à faire des films, c'est clairement quelque chose que je vais pouvoir explorer et connaître de mieux en mieux mon outil. Mais c'est normal. Forcément, un réalisateur qui en est à son dixième film va avoir une connaissance de ce qu'on peut raconter, quel plan on peut faire... Et puis c'est vrai que j'ai consacré les dix dernières années de ma vie essentiellement au théâtre. Donc je me considère vraiment comme un jeune réalisateur.
Sur le film, il y a des choses que vous vous refusiez sur le traitement des émotions ?
Alexis Michalik : Oui bien sûr ! Nous, sur scène, on est tout le temps émus quand on joue cette pièce, il y a quelque chose qui nous touche particulièrement. En plus avec le parcours que la pièce a eu, avec nos amitiés, nos histoires personnelles... Dès qu'on joue, on est pris par cette histoire. Mais, il n'y a jamais de pathos.
Que ce soit chez Katia ou chez William, le frère et la sœur, il y a un refus du pathos. Ils ont un humour de résistance, un sarcasme, une ironie face à la vie parce qu'ils ont tellement été habitués jeunes à se prendre des baffes, ils ont perdu leurs parents jeunes etc., que les deux ont développé cet humour de résistance. Et je pense que c'est ça qui crée l'empathie. Ce ne sont pas des gens qui se plaignent. Ce sont des gens qui se disent : "La vie c'est des tartines de merde, il faut faire avec, il faut continuer à avancer". Et au milieu de tout ça, il y a une vraie sincérité, un vrai amour, quelque chose de profond mais qui est toujours nimbé de vannes. Ils se chambrent tout le temps.
On parle de cancer, de rupture, de deuil, d'abandon d'enfant, de DDASS... Tout cet espèce d'amoncellement de merde, eux ils le prennent avec une distance. Et nous on rit avec eux. Le but, c'est de rire à travers les larmes. Et si on arrive à rire à travers les larmes, alors c'est gagné, c'est qu'on sort de là en se disant : "Alors là je sais pas où j'ai été mais ça m'a bouleversé". Pour moi, c'est pour ça qu'on va voir des films, c'est pour être traversé par ces émotions.
Une histoire d'amour est à découvrir au cinéma dès le 12 avril 2023.