Figure à suivre d'un cinéma américain indépendant et radical, Amanda Kramer propose avec "Please Baby Please" un film unique, déroutant et enivrant, doublé d'une ode au cinéma des années 50. On l'a rencontrée.
Rencontre avec Amanda Kramer
Dans son nouveau film Please Baby Please, Amanda Kramer dirige un formidable casting pour raconter une romance qu'on pourrait croire tout droit sortie du cinéma des années 50. Mais avec une réflexion contemporaine sur l'identité masculine et féminine, mettant au premier plan ce qui n'était que suggéré dans la période du cinéma à laquelle la réalisatrice fait référence. Esthétiquement unique, mis en scène dans des décors quasi fantasmagoriques, Please Baby Please est une proposition de cinéma comme on en voit trop peu, et est à découvrir sur MUBI.
Please Baby Please est un film particulier, mais qu'on pourrait définir avant tout par son étrangeté et son amour du cinéma ?
Amanda Kramer : Oui, je crois que tout simplement j’aime le cinéma, et les gestes audacieux. J’aime aussi les films musicaux, et le cinéma américain des années 50, qui a donné beaucoup de standards cinématographiques. Aujourd’hui, on fait de moins en moins de films « cool », il y a un espace à explorer de nouveau, celui d’un cinéma effronté, voire « ringard ». Certains de ces anciens films sont pourtant magnifiquement mis en scène, avec des performances de jeu très évocatrices.
Amanda Kramer : J’aime James Dean, Marlon Brando, je garde toujours en tête leurs images et si on a l’opportunité de recréer ça, il ne faut pas la laisser passer. Aussi, la romance, le triangle amoureux, les conversations queer, et puis l’homme et la femme… Je crois que je n’arrête jamais de penser à la dynamique du rapport homme-femme dans mon travail, c’est constant. Tout ça se retrouve dans Please Baby Please.
Il y a effectivement ces thématiques, ce jeu sur des identités troublées. C'était important pour vous d'offrir cette réflexion ?
Amanda Kramer : On est toujours proches de ces modèles, nos parents et grands-parents étaient profondément masculins et féminins, et ces perspectives, ces énergies, sont toujours très fortes. Nos mères étaient les cheffes du foyer, mais il ne fallait pas oublier le rouge à lèvres ! C’est une éternelle histoire d’identités conflictuelles, mais on le comprend mieux maintenant.
Quand j’étais adolescente, j’étais stupéfaite de voir que les plus grands chefs étaient des hommes ! Alors que ma mère cuisinait et mon père pas du tout. Je ne comprenais pas. Quelque chose ne collait pas. En réalité, ça n’a pas grand chose à voir avec l’identité sexuelle, mais plutôt avec ce qu’un homme ou une femme fait et ce qu’il ou elle est.
Au cinéma, on a toujours eu des personnages masculins très tendres, qui mènent la romance, et des femmes teigneuses et « bossy ». Donc ce questionnement a toujours existé. Et pourquoi ne pas, alors, le faire frontalement, en parler, en faire le sujet d’un film ? C’est une idée très vive de notre époque, mais déjà dans Un tramway nommé désir ou La Fureur de vivre, il y a déjà ça en sous-texte, avec des personnages qui luttent contre leur masculinité. C’était caché, disons que moi je le fais en plein jour (rires).
Comment avez-vous constitué le casting de Please Baby Please ?
Amanda Kramer : Même si on a toujours des idées, des rêves de casting, encore faut-il que ça fonctionne avec la matière du film. J’ai donc gardé une grande ouverture d’esprit au moment de faire mon casting, j’ai essayé de voir un maximum d’acteurs et d’actrices pour les rôles. Je considère avoir eu de la chance, parce que je trouve mon casting parfait.
J’ai travaillé dur pour les trouver et les associer, parce qu’il ne suffit que chacun soit individuellement bon, il faut qu’il y ait une alchimie. On peut prendre les personnes les plus célèbres et les coller ensemble, et espérer que ça marche. Mais un bon casting, c’est trouver la magie, faire naître la création à plusieurs sur un plateau !
J’ai eu la chance que mon casting réussisse à créer l’idée parfaite que je m'en faisais, si cette phrase fait sens (rires). La chance que les acteurs me fassent confiance, et aient foi dans le sujet du film. Sur le papier, le film est quand même très bizarre ! Donc ce n’était pas forcément facile pour eux d’accorder leur confiance, mais ils l’ont fait.
Harry Melling livre une grande performance dans votre film.
Amanda Kramer : Harry est brillant. Quand je l’ai rencontré, j’étais comme droguée parce que j’avais bu beaucoup de café, avec beaucoup de sucre ! Je parlais du personnage sans m’arrêter, et il écoutait pensivement, en hochant la tête. Il n’a pas beaucoup parlé, alors j’ai craint d’en avoir trop fait, de l’avoir inondé d’informations. Mais Harry est une éponge, alors quand il est arrivé pour le tournage, je lui ai demandé s’il avait besoin de parler encore du personnage, mais il avait déjà tout compris depuis le texte.
Quand on travaille avec un acteur intelligent, il comprend toutes les nuances, et Harry voulait me donner toutes ces nuances, il voulait tout essayer, être audacieux.La pire chose avec un acteur ou une actrice, c’est la timidité, et je crois qu’Harry le sait, donc il est prêt à explorer, se révéler, créer du chaos dans son personnage. Il était sensible aux sujets du film, c’est un collaborateur formidable, et une personne adorable.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans la fabrication de Please Baby Please ?
Amanda Kramer : Tout ! C’est un film audacieux, bizarre, étrange, donc le financement a été compliqué. Mais on a aussi tourné dans le Montana, pendant une période de blizzard et durant la pandémie de Covid-19... On avait nos masques, il neigeait, les températures étaient négatives et on tournait de 17h à 5h du matin. Mais une fois lancés, avec le casting et les équipes, c’était comme un rêve.
Je me sentais chanceuse chaque soir où j’arrivais sur le plateau, parce que chaque film est un miracle. Tous les films sont difficiles à faire !
Quels sont les cinéastes en activité qui vous inspirent dans votre travail ?
Je suis une grande fan de Gaspard Noé, Ruben Östlund, Yorgos Lanthimos. À mon avis, ce sont les trois cinéastes les plus brillants en activité aujourd’hui. Je pense aussi à Julia Ducournau, j’ai adoré Titane, et j’ai hâte de voir ses prochains films. Il y a aussi une place spéciale dans mon coeur pour M. Night Shyamalan, je le trouve cool, drôle, et je prends beaucoup de plaisir à regarder ses films. J’aime beaucoup de cinéastes contemporains, mais il n’y a pas tant d’américains que ça dans ceux-là !