"Anthony est moins mignon dans le livre que dans le film !" : l'auteur de "Leurs enfants après eux" raconte cette grande adaptation

"Anthony est moins mignon dans le livre que dans le film !" : l'auteur de "Leurs enfants après eux" raconte cette grande adaptation

Récompensé du Prix Goncourt 2018, le roman de Nicolas Mathieu "Leurs enfants après eux" a droit à une formidable et émouvante adaptation sur grand écran. Nous avons rencontré l'écrivain, pour évoquer ce récit littéraire devenu un film solaire, profond et élancé, au casting inspiré et captivant.

Leurs enfants après eux, la grande nostalgie

Les producteurs Alain Attal et Hugo Sélignac ont eu l’idée de mettre à l’écran le grand roman de l’écrivain Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux, Prix Goncourt 2018, et de confier la réalisation de ce film aux frères Ludovic et Zoran Boukherma, jeunes cinéastes brillants révélés avec Teddy en 2020. Une bonne idée ? Une excellente idée même, puisque Leurs enfants après eux, porté notamment par les belles performances de Paul Kircher et Angelina Woreth est un très beau film, en lui-même d’abord, ainsi qu’une adaptation aussi intelligente et fidèle qu’elle le peut au roman, à la fois récit fiévreux d’une adolescence et fresque d’une époque révolue mais dont la nostalgie reste vive.

À l’occasion de la sortie de Leurs enfants après eux au cinéma, on a rencontré Nicolas Mathieu, qui nous a notamment livré ses sentiments sur son adaptation, l’importance de la musique dans ce récit, les films qui l’ont inspiré et pourquoi il préfère Les Soprano à The Wire

Leurs enfants après eux
Leurs enfants après eux ©Warner Bros.

Je voudrais débuter avec la question de l’adaptation d’une oeuvre d’art par un autre art. On raconte que le compositeur Gabriel Fauré avait demandé au poète Stéphane Mallarmé de pouvoir mettre un de ses poèmes en musique. Ce dernier lui aurait alors répondu : "mais je pensais l’avoir déjà fait !". Ma question est alors : comment reçoit-on une proposition d’adaptation d’une histoire déjà faite, totale et complète ?

Nicolas Mathieu : Moi j’adore ! (rires). J’ai déjà eu un autre bouquin adapté en série, et par ailleurs je suis assez cinéphile. Je consomme plein de films et de séries, et ça vient très souvent de la littérature. Le fait que l’audiovisuel prolonge un geste de fiction comme ça, en l’adaptant par d’autres moyens, je trouve que c’est valable, désirable et flatteur. Donc "banco" !

Vous n’avez pas participé au travail d’adaptation de Leurs enfants après eux en scénario. Quelle a donc été votre implication dans le film, qu’avez vous défini pour celui-ci ?

Nicolas Mathieu : Si on ne participe pas au scénario, le geste qu’on fait est qui on choisit pour l’adapter. À qui on cède les droits, et qui sera le réalisateur. Là-dessus, on a la main pour dire oui ou non. Et après, vogue la galère. Mais au départ, avec ces choix-là, on se met d’accord sur un rêve commun. Quel sera le film ? Quels sont les moyens qu’on a envie d’y mettre ? Quel est le point de vue ? C’est un package sur lequel on signe, sur l’esprit du film et des détails pratiques.

J’avais envie que le film soit, comme le livre, une fresque. Avec beaucoup de musique, que ça raconte une histoire d’amour et pas seulement les aspects sociaux, la fièvre de ces gamins, un moment, une époque, une vallée…

Leurs enfants après eux
Leurs enfants après eux ©Warner Bros.

Que pensez-vous de Leurs enfants après eux version cinéma ?

Nicolas Mathieu : J’aime beaucoup le film. Il m’a ému là où le roman, je pense, devait le faire : dans le destin des personnages, et dans le sentiment de ce que nous fait le temps. J’étais vraiment très content de ça. Il y a des moments du roman auxquels je tenais, peut-être plus sur l’intériorité, et sur la montée en généralité, l’analyse des fonctionnements sociaux, qui je pense sont difficiles à rendre. Dans le film, ces éléments se déduisent mais ils ne sont pas là, à l’image. Mais ça, ce sont les facultés propres à chaque média.

Et à l’inverse, il y a des choses qu’on a du mal à faire en littérature, comme par exemple donner du sens à un regard, montrer un paysage d’un bloc. Et aussi la chair que les comédiens donnent aux personnages, ça apporte une densité qu’on peine à avoir en littérature. C’est moins immédiat dans un livre. Et puis quand même, l’élan, la fièvre, la musique, les impressions physiques qu’on éprouve, sont plus fortes et immédiates au cinéma.

Comment avez-vous trouvé les comédiens qui incarnent vos personnages ?

Nicolas Mathieu : Les comédiens qui incarnent les personnages… À dire vrai, ça fait très longtemps que je n’ai pas relu le roman. Il a été publié en 2018, je l’avais terminé au printemps, donc nous sommes quasiment sept ans plus tard. Quelque part, et alors que j’ai déjà vu le film deux fois, les comédiens se sont intercalés entre le livre et moi. C’est eux maintenant que je vois quand je pense à mes personnages. J’imagine que c’est plutôt bon signe.

Mais il y a des différences entre mes personnages et les comédiens. Je pense qu’Anthony dans le livre est moins mignon que dans le film ! La manière dont j’imaginais le père, il était plus sec, plus noueux, plus tendu et plus nerveux. Hacine était aussi moins princier, il a une élégance dans le film qu’il n’a pas dans le livre. Il y a des décalages, mais qui, je pense, ne desservent pas le propos.

Leurs enfants après eux
Leurs enfants après eux ©Warner Bros.

Aviez-vous une idée précise du genre de cinéma que vous vouliez pour Leurs enfants après eux ?

Nicolas Mathieu : Je m’étais dit que je ne voulais surtout pas d’un film qui serait une chronique sociale, caméra à l’épaule et format carré. Je voulais du cinémascope et que ce soit plus du côté de Ford que… peu importe de qui, mais je voulais que quelque part ce soit un peu Les Raisins de la colère, où on ose un récit à fresque. Des plans larges, de la profondeur de champ, et puis de la musique.

Cette musique justement, ces tubes d’une époque qui sont dans le livre, c’était important de les retrouver à l’écran ?

Nicolas Mathieu : Oui, les chansons fixent l’époque, racontent quelque chose et convoquent un inconscient collectif. Aussi, ce sont des chansons populaires dont on montre la noblesse, comme on montre la noblesse des caractères des personnages.

Y a-t-il des films précis qui vont inspiré au moment d’écrire le livre ?

Nicolas Mathieu : Mon livre doit beaucoup à Mud de Jeff Nichols, à Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. Et, en général, je dois beaucoup à Les Soprano, je pense que ça se sent ici et là dans le récit. Il est d’ailleurs un peu fait comme une série, avec une grande arche qui traverse tout le livre, des saisons avec ces quatre étés, chaque chapitre avec ses enjeux locaux et des personnages qui évoluent. Par ailleurs, dans mes films de chevet, je dirais qu’il y a Le Lauréat, Rocky, et Le Feu follet.

Vous évoquez Les Soprano. Vous seriez donc plutôt team Les Soprano que team The Wire, ces deux monuments qui sont souvent mis en concurrence ?

Nicolas Mathieu : Oui ! Je pense que Les Soprano est supérieur parce qu’il y a un côté existentiel et métaphysique que n’a pas The Wire, qui est plus strictement sociologique dans son approche du monde qu’il décrit. C’est ceci dit parfait, il y a plusieurs environnements décrits, de bas en haut, avec les devenirs des personnages… Mais Junior Soprano, qui est le patron dans le premier épisode, et qu’on voit en chemise de nuit à l’ehpad dans les derniers épisodes, devenue une ombre… Ça, il n’y a que Les Soprano qui l’ont montré : le temps qui a passé.