En novembre 2022, le cinéaste James Gray sort sans doute son film le plus personnel avec "Armageddon Time". Une œuvre qui se déroule dans le Queens pendant les années 1980. L’occasion pour nous de déceler les éléments fictifs des éléments autobiographiques.
Armageddon Time : le film le plus personnel de James Gray
Aujourd’hui âgé de 54 ans, James Gray débute sa carrière de metteur en scène au début des années 1990 avec Little Odessa. Rapidement, ce cinéaste originaire du Queens se fait un nom avec des œuvres emblématiques telles que The Yards (2000), La Nuit nous appartient (2007) et Two Lovers (2008).
Après The Immigrant (2013), The Lost City of Z (2019) et Ad Astra (2019), le metteur en scène est de retour en 2022 avec son huitième long-métrage : Armageddon Time. Emmené par Anne Hathaway, Jeremy Strong, Anthony Hopkins et le jeune Michael Banks Repeta, Armageddon Time est incontestablement le film le plus personnel de son auteur. James Gray remonte le temps pour poser ses caméras dans le Queens des années 1980.
Le vrai du faux
Ainsi, Michael Banks Repeta incarne une version jeune de James Gray au début des années 1980. Né en 1969, James Gray a vécu sa jeunesse dans le Queens, et a donc décidé de raconter cette époque dans Armageddon Time. Il reconstitue ici ses souvenirs de jeunesse des années 80, teintées de racisme et d’inégalité.
L’histoire raconte la jeunesse de Paul, le jeune alter égo de James Gray. Ce dernier, élève turbulant, change de collège à cause de son mauvais comportement et se retrouve dans l’établissement huppé et conservateur du père de Donald Trump. Paul est fidèle à son ami afro-américain Johnny, ce qui le fragilise aux yeux des élèves de la haute société new-yorkaise. Tous deux rêvent d’un avenir meilleur et commettent un larcin qui va bouleverser leur vie.
Dans la vraie vie, James Gray a grandi avec son frère aîné et ses deux parents d’origine juive, immigrés aux Etats-Unis. Son père était ingénieur et sa mère enseignante. Il s'était lié d'amitié avec un petit garçon noir, avec lequel il avait été surpris à fumer un joint dans les toilettes du collège. Cet incident n'a pas eu le même impact sur le parcours des deux enfants, comme l’expliquait le cinéaste (via AlloCiné) :
En tant que blanc, je n’avais pas conscience que ma race et ma classe sociale m’octroyaient le bénéfice du doute, me donnaient droit à une deuxième chance, voire une troisième. Le fait de ne pas se rendre compte, de ne pas relever, est un luxe et un privilège immérité. J’ai voulu que mon film scrute les lignes de fracture de classes et de races dans mon pays et les aborde en toute honnêteté.
L’influence politique
A l’instar d’autres films comme Licorice Pizza, Belfast ou encore The Fabelmans, Armageddon Time s’inscrit dans la veine de ces films autobiographiques où un cinéaste emblématique se penche sur son enfance. Mais comme aime le préciser James Gray lui-même, Armageddon Time est davantage « une œuvre semi-autobiographique, ou personnel », comme il l'expliquait dans les colonnes de Première :
Il y a quelques années, mes enfants m’ont dit qu’ils avaient envie de voir la maison où j’avais grandi. Nous sommes donc allés y faire un tour. Elle n’était plus tout à fait la même que celle que j’avais connue, mais on pouvait encore voir des vestiges du passage de notre famille. Par exemple des traces, sur les murs, de la bombe de peinture que j’utilisais pour mes modèles réduits… J’ai commencé à repenser à tous ces repas de famille, qui étaient si importants pour nous, avec mes parents, mes grands-parents, mon grand-oncle et ma grand-tante. Plus aucun d’entre eux n’est vivant désormais, ils sont tous partis, ils sont comme des fantômes.
Toujours au micro de nos confrères, le cinéaste a expliqué d’où lui est venu le désir de raconter son enfance :
Puis je suis parti à Paris mettre en scène Les Noces de Figaro, Trump venait d’être élu et ça me faisait vraiment peur, sans parler du sentiment d’humiliation que je ressentais en tant qu’Américain vis-à-vis de mes amis européens. Le soir, dans mon appartement parisien, seul, loin de ma famille, je repensais à ces fantômes, à mon ancienne maison… L’histoire d’Armageddon Time a commencé à prendre forme.
En plus de l’influence de Trump sur son récit, l’élection de Reagan a également été un élément central dans le récit de Armageddon Time. Comme l’explique James Gray au micro de Première, cette élection a été un choc pour sa famille, et il tenait à en parler dans son œuvre :
Le film s’appelle Armageddon Time parce que l’élection de Reagan donnait un sentiment de fin du monde. On pensait vraiment qu’il allait lancer les missiles nucléaires. 1980 a été un tournant politique, culturel. Mohammed Ali, qui était l’un de mes héros, a perdu un combat de façon très humiliante, contre Larry Holmes. John Lennon, un autre héros, a été assassiné... La culture et la politique changeaient à toute vitesse. En un clin d’œil, les Etats-Unis sont devenus un pays très différent de ce qu’ils étaient l’instant d’avant.
Mais avant toute chose, James Gray précise qu’Armageddon Time parle surtout du privilège de la race et de la couleur de peau :
Oui, même si je n’ai jamais pensé le film comme portant sur la question raciale. Le vrai sujet, c’est la classe, cette idée de privilège. Et les différents degrés de privilège. Disons qu’il y a le privilège blanc, et le privilège blanc sous stéroïdes !
Malgré des critiques majoritairement positives, Armageddon Time a été boudé des festivals. Le film de James Gray est reparti bredouille du Festival de Cannes malgré 7 citations et n’a reçu aucune nomination à la cérémonie des Oscars…