Dans sa tragédie, "Athena" développe le destin de plusieurs personnages, chacun lancé sur son propre chemin et motivé par sa propre passion. On se penche sur Sébastien, sans doute le personnage le plus mystérieux et le plus inquiétant du film de Romain Gavras.
Athena, une histoire de destins
Disponible sur Netflix depuis le 23 septembre 2022, Athena de Romain Gavras génère autant d'avis élogieux que négatifs. C'est bien ce qu'on attendait, au minimum, d'une telle expérience cinématographique. Dans cette furieuse et spectaculaire mise en scène de l'embrasement d'une cité, cinq comédiens s'illustrent. Il y a au tout premier plan les trois frères, Abdel (Dali Benssalah), Karim (Sami Slimane) et Mokhtar (Ouassini Embarek). Leurs trois destins sont intimement liés et forment le noeud du drame d'Athena.
À côté d'eux, il y a Jérôme, le jeune CRS interprété par Anthony Bajon, et Sébastien, incarné par Alexis Manenti. Celui-ci, qu'on voit brièvement dans la première partie du film puis plus longuement dans la troisième, est un personnage dont la nature n'est pas clairement établie, et qui garde jusqu'à la fin une part de mystère.
Sébastien, un personnage à la fois réaliste...
Il faut tendre l'oreille, mais le personnage joué par Alexis Manenti est évoqué dès le début du film, quand on entend une chaîne d'information en continu énoncer que la police s'inquiète de la présence dans la cité Athena d'un certain "Sébastien L., fiché S, soupçonné d'actes de barbarie en Syrie et multi-récidiviste". Cette mention est fondamentale pour comprendre qui est donc cette personne qu'Abdel va vite mettre à l'abri alors que la révolte gagne toute la cité. C'est là qu'on le découvre pour la première fois, en train de s'occuper calmement de ses fleurs, de la musique dans les oreilles. Une sérénité en parfaite opposition avec le chaos ambiant, qui en dit long sur la psychologie du personnage.
Comme l'expliquait Romain Gavras dans notre interview, Sébastien est un "revenant", un homme parti faire le djihad sous le drapeau de l'État Islamique. Un profil terroriste donc, faisant a priori de Sébastien un de ceux pour qui la violence et le chaos ont un intérêt.
Ce sont des personnes qui existent, des "revenants" du djihad et qui passent par la case prison. J'en ai rencontré quelques-uns en prison, certains sont dans un état léthargique parce qu'ils se droguaient, d'autres sont de véritables bombes à retardement. Les forces qui vont s'opposer et pousser à la guerre, ce n'est pas forcément les jeunes contre la police, ce sont ceux qui ont un intérêt à ce que le chaos s'opère.
... et métaphorique
Dans l'intrigue d'Athena, Sébastien joue un rôle-clé au moment où Abdel lui dit d'aller "aider" les émeutiers, en faisant passer la révolte dans une toute autre dimension. Le personnage, d'abord tenu à l'écart dans une garderie, assis au milieu des jouets, change lui de dimension à ce moment, en redevenant ce qu'il était, à savoir un pur agent du chaos et un homme fasciné par la destruction. Mais il existe deux autres niveaux de lecture. Comme l'explique Romain Gavras, on peut le percevoir comme à la fois l'anti-thèse d'Abdel, deux hommes de deux camps opposés, mais aussi comme l'alter ego négatif d'Abdel, sa part de ténèbres.
Sébastien (est) la nemesis d'Abdel, ils auraient pu se retrouver en face l'un de l'autre sur un champ de bataille. Encore plus métaphorique, c'est la part d'ombre d'Abdel. Quelqu'un qu'il enferme au début, comme il enferme d'abord sa rage, avant finalement de la laisser sortir.
C'est cette dernière lecture qu'on retient surtout du film, dans la mesure où Abdel enferme Sébastien, littéralement, quand il essaye encore d'apaiser la révolte des jeunes, menée par son petit frère Karim. Puis Abdel, submergé par la tristesse et la haine après la mort de Karim, laisse sa propre rage prendre le dessus. Son désir de paix est alors submergé par son désir de vengeance et de destruction, et c'est à ce moment qu'il "libère" Sébastien et lui ordonner d'aller participer à la destruction de la cité. C'est ainsi que Sébastien va aider les jeunes à mettre la main sur des armes à feu, puis va piéger tout un étage d'une des tours d'Athena.
Une performance glaçante d'Alexis Manenti
Récipiendaire du César du Meilleur espoir masculin pour Les Misérables, Alexis Manenti fait aujourd'hui partie des acteurs les plus en vue du cinéma français. On l'a vu récemment dans Enquête sur un scandale d'État, dans la série The Eddy et était déjà dans Le Monde est à toi de Romain Gavras. Collaborateur du collectif Kourtrajmé depuis les premiers courts-métrages de Kim Chapiron et Romain Gavras, c'est tout naturellement qu'on le retrouve donc au scénario et au casting de Les Misérables, et dans ce rôle perturbant de Sébastien dans Les Misérables.
Un rôle-clé, et aussi un personnage ambigu, qui représente dans le film de Gavras le grand danger de l'islam radical et du fanatisme religieux, une véritable "bombe à retardement". Son interprète, déjà parfait dans le rôle de Chris, le "baqueux" très nerveux de Les Misérables, livre dans Athena une nouvelle incarnation idéale, pour un personnage qui n'a pas fini de nous hanter...