Avec un formidable casting et une réalisation magistrale, "Blood for Dust", présenté en compétition au 49e Festival du cinéma américain de Deauville, s'impose comme un excellent film noir.
Du très noir pour envenimer Deauville
En compétition au 49e Festival du cinéma américain de Deauville, plusieurs films abordent des thématiques contemporaines. Il y a par exemple la découverte de son identité sexuelle dans Aristote et Dante découvrent les secrets de l'univers, la transidentité dans Summer Solstice, une plongée dans le milieu du journalisme avec Cold Copy. Aussi, la résilience suite à une tuerie dans un lycée américain, histoire de The Graduates.
Et puis il y a des films conçus comme des purs exercices de genre, des gestes de cinéma où les thématiques, intemporelles, servent de prétextes pour jouer avec les codes. C'est ainsi le cas du très bon Blood for Dust, deuxième long-métrage de fiction de Rod Blackhurst, réalisateur précédemment remarqué pour son documentaire Amanda Knox.
Brillants seconds couteaux pour polar tragique
Dans Blood for Dust, on suit Cliff, un vendeur itinérant qui parcourt les routes du Midwest. Acculé par les dettes, faisant profil bas suite à une magouille à l'issue tragique dans son dernier emploi, il a désespérément besoin d'argent. Travailleur, plutôt honnête, il n'a cependant pas d'autre solution que d'accepter l'offre de Ricky, un ancien collègue devenu criminel...
La force de Blood for Dust réside dans sa capacité à captiver, tout en déroulant une histoire déjà racontée mille fois. Et pour captiver, brouiller les circonstances d'une conclusion dont on a rapidement l'intuition, Rod Blackhurst a d'abord l'idée brillante de caster un ensemble de solides acteurs, des "gueules" habituées aux seconds rôles. Cliff est ainsi incarné par un formidable Scoot McNairy, qui compose là la plus belle performance de sa carrière. Rongé par la tristesse et l'inquiétude, il devient le jouet d'une violente descente aux enfers. Avec son jeu en retenue, il développe une forme de charisme négatif, de malaise permanent, plein d'une violence à laquelle il se refuse.
Autour de lui, il y a Ricky, incarné par Kit Harington. La star de Game of Thrones trouve lui aussi dans Blood for Dust un rôle fort, celui d'un psychopathe aux manières presque charmantes, sûr de son fait et totalement hermétique à l'horreur qu'il sème sur sa route. Stephen Dorff fait une apparition brève mais marquante. Ethan Suplee se dévoile parfait dans un rôle de brute taciturne, et Josh Lucas s'amuse en caïd local sans scrupules.
Un néo-western masculin et sans issue
Avec ce beau casting, Rod Blackhurst joue avec les codes du néo-western, déroulant le fil de son polar dans l'Amérique rurale du début des années 90. Il y fait froid, sombre, et l'économie entame son bouleversement dans un monde qui va alors passer de l'analogique au numérique, laissant sur le bord de la route ces hommes à qui l'illégalité tend les bras. Il y a du Cogan: Killing Them Softly dans Blood for Dust, du Comancheria aussi, dans l'idée de montrer à quoi peut mener le désespoir économique. Et du Fargo, évidemment. Blood for Dust n'atteint pas les sommets du cinéma noir des frères Coen, mais il en a le sens, et s'en approche sensiblement.
Visuellement souvent saisissant, éclairé par les néons crasseux et les lampes tamisées des backrooms et hôtels miteux où Cliff passe ses nuits, Blood for Dust délivre une sourde tension, retenant jusqu'au dernier moment toute la violence de son histoire, pour que celle-ci explose en plein visage.
Impossible donc de bouder son grand plaisir devant Blood for Dust qui, malgré son aspect classique, montre combien Rod Blackhurst sait ce qu'il fait et parvient ainsi à proposer un "petit" film excellemment réalisé, interprété et produit. Un film dont le profil ne lui permettra peut-être pas de prendre place au palmarès de cette 49e édition du Festival de Deauville - quoique... -, mais qui confirme dans tous les cas qu'on tient là un très, très bon cinéaste.