Il y a 40 ans, ce thriller érotique de Brian De Palma faisait scandale

Il y a 40 ans, ce thriller érotique de Brian De Palma faisait scandale

Le 26 octobre 1984 sortait sur les écrans américains "Body Double" de Brian De Palma. Mal reçu à l'époque et sujet de plusieurs scandales, le film a été réévalué à la hausse depuis.

Body Double de Brian De Palma : une relecture érotico-comique de Fenêtre sur cour et Vertigo

Aujourd'hui considéré comme un réalisateur majeur du cinéma américain, Brian De Palma n'a pas toujours eu la même considération. Souvent, le cinéaste a vu ses films se faire descendre par la critique ou être boudés par le public. Les mêmes œuvres qui sont devenues des classiques avec le temps. Scarface (1984) est par exemple devenu un film ancré dans la pop culture, récupéré par le milieu du hip hop. Body Double (1985) est aussi un cas intéressant. Certes moins connu que Scarface, ce thriller érotique volontairement grotesque demeure un des meilleurs films du cinéaste. Pourtant, à sa sortie, le long-métrage a été un échec ponctué par une nomination de Brian De Palma aux Razzie Awards 1985 dans la catégorie pire réalisateur.

Pour rappel, le film joue avec plusieurs concepts hitchcockiens, s'inspirant de Fenêtre sur cour et Vertigo. On y suit Jake Scully (Craig Wasson), un acteur de série Z pris d'une crise de claustrophobie lors d'un tournage. Obligé de rentrer chez lui pour se repose, il y découvre sa fiancée avec un autre homme. Sam (Gregg Henry), un autre acteur rencontré lors d'une audition, lui propose alors de l'héberger dans la maison d'un ami riche en actuellement en voyage.

Body Double ©Warner-Columbia Film
Body Double ©Warner-Columbia Film

En plus d'être un lieu magnifique pour Jake, la vue l'est tout autant. Car chaque soir, une femme (Deborah Shelton) qui habite en face se met à danser sensuellement en sous-vêtements devant sa fenêtre avant de se masturber. Jake va l'observer, développer une obsession pour elle et même la suivre, mais il ne pourra rien faire face à un étrange Indien. Témoin du meurtre de sa voisine, Jake comprendra par la suite qu'il a été manipulé depuis le début.

Le meurtre à la perceuse qui fait jaser et une rumeur persistante

À l'occasion des 40 ans de Body Double, Vulture s'est entretenu avec Brian De Palma. Lors de cette interview, le réalisateur expliquait l'échec de son film en estimant qu'analyser un film avec le style du moment n'est pas toujours juste :

On est toujours jugé par le style du jour, mais parfois le style du jour n’est pas la bonne façon d’évaluer quelque chose d’innovant.

Preuve que les temps ont changé, Body Double s'était à l'époque attiré les foudres de la critique et d'associations féministes. En particulier à cause de la séquence du meurtre jugée misogyne. Durant celle-ci, la victime se fait transpercer avec une perceuse. La scène a lieu dans la chambre de la jeune femme, tandis que Jake, présent à l'étage du bas, voit un trou se former sur le plafond et le sang couler. Certains ont vu cet outil comme un substitut phallique, insistant sur le plan de la perceuse entre les jambes du tueur.

Cette scène qui a tant fait hurler, a été justifiée par Brian De Palma - notamment lors de ses entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud. Pour le cinéaste, cette mise en scène n'a aucune symbolique particulière, si ce n'est un signe de la réelle identité du tueur. Du reste, ses choix de réalisation étaient surtout pragmatiques d'un point de vue cinématographique.

Les gens me disent : "Il faut être sacrément dérangé pour imaginer une perceuse avec une vrille aussi grande !" Alors que mes choix sont toujours très pragmatiques. Si j'avais pris une petite vrille, elle n'aurait pas pu passer à travers le plafond, ça n'aurait pas marché. Or, l'image que j'ai toujours eue en tête était celle de Craig regardant en l'air et voyant la vrille ensanglantée passer à travers le plafond... Comme ça, le spectateur pouvait imaginer ce que le type avait fait à Gloria.

Ajoutez à cela l'implication de l'actrice pornographique Annette Haven (d'abord envisagée pour le rôle de Melanie Griffith), et une rumeur selon laquelle le réalisateur aurait invité des femmes à se masturber chez lui, et vous avez les ingrédients pour un scandale.

Curieusement, Annette n’était pas si sexy que ça. Mais je me suis servie d’elle comme conseillère sur le tournage. Sauf qu'ensuite, il y a eu cette rumeur selon laquelle j'invitais des femmes à se masturber chez moi, et cela a duré des décennies. C'était ridicule ! La seule fille qui venait vraiment chez moi était Annette, avec qui nous travaillions. Et Melanie, qui travaillait avec Annette sur la routine de la masturbation à la fenêtre. Je sortais avec une caméra et je laissais Melanie suivre la chorégraphie qu'Annette lui avait apprise.

L'ironie de Brian De Palma sur les coulisses de l'industrie

Brian De Palma s'est souvent amusé des symboliques érotiques. Il n'est pas si anodin qu'il insiste comme ça sur la perceuse qui semble sortir du pantalon du tueur. Seulement, l'ironie et le second degré de Body Double sont à prendre en compte. Il y a un côté risible assumé dans cette scène, et dans le long-métrage en général qui s'amuse avec les codes de l'horreur érotique de l'époque, et du porno.

Body Double ©Warner-Columbia Film
Body Double ©Warner-Columbia Film

En atteste la rencontre entre Jake et Holly Body (Melanie Griffith). Ce qui doit être à la base une scène de sexe d'un film pornographique (on voit apparaître l'équipe de tournage dans le reflet d'un miroir) devient un vrai moment charnel et kitch entre les deux protagonistes. Rappelons aussi que la séquence qui précède et qui introduit cette scène de sexe devait à l'origine être uniquement le clip du morceau Relax de Frankie Goes to Hollywood, mais a finalement été incorporé dans Body Double.

Le cinéaste n'aime pas la fin de son film

Toute l'ironie de Brian De Palma se retrouve jusque dans le dernier plan et le générique du film. On y retrouve Jake reprendre le tournage de sa série Z, apparaissant en vampire dans la douche d'une jeune fille. Là encore, le réalisateur montre les coulisses et les trucages. Le public découvre comment l'actrice est remplacée par une doublure corps (body double) à la poitrine bien plus imposante pour un gros plan génialement "osé". Pour autant, Brian De Palma n'a pas été satisfait par cette fin. La scène devait d'ailleurs à l'origine être placée au début.

La fin ne s'est pas déroulée exactement comme je l'avais prévu. Nous montrons ce qu'est réellement une doublure corporelle et en faisont la démonstration. J'avais prévu cela au début du film. D'une certaine manière, j'ai eu l'impression que cela trahissait toute l'idée dès le début. J'ai donc mis cette scène à la fin. Mais ce n'est pas une bonne fin.

Body Double ©Warner-Columbia Film
Body Double ©Warner-Columbia Film

Malgré les tentatives du journaliste de défendre la fin de Body Double, Brian De Palma est resté sur sa position. Il a de plus insisté sur le côté improvisé et non structuré de ce choix de fin.

Encore une fois, le film s’appelle Body Double. Vous essayez d’instruire le spectateur sur une certaine technique cinématographique. Vous lui montrez quelque chose qu’il ne connaît pas ou qu’il n’a jamais vu auparavant. Donc ça fonctionne de manière fragmentaire, mais ce n’était pas quelque chose de préconçu. Cela a été ajouté. Pour une raison un peu folle, cela semble fonctionner. Mais les choses doivent être très soigneusement structurées. Blow Out a une fin géniale. Et Les Incorruptibles aussi, tout comme Carrie.