Dans "Boléro" d'Anne Fontaine, l'acteur Raphaël Personnaz devient Maurice Ravel, immense compositeur à qui l'on doit le fameux "Boléro", et livre une grande performance. Il nous parle de ce rôle et de sa manière de l'aborder.
Comment est-ce que vous avez composé votre Maurice Ravel dans Boléro ?
Raphaël Personnaz : C'est fait par l'apprentissage du piano et de la direction d'orchestre, donc par des choses très pratiques. C'est toujours compliqué pour un personnage comme ça, qui est secret, caché, de ne pas tomber dans une sur-psychologisation qui ne mène à pas grand chose.
Alexandre Tharaud (pianiste et conseiller musical, ndlr) nous a aidés, guidés sur tout le film, et très vite il m'a dit : "Moi, quand je rentre dans les mains de Ravel, je vois qui est Ravel, la sensualité, toute la sexualité de sa musique, tout est là." Donc c'est d'abord par l'apprentissage, par refaire les gestes qu'il faisait, aller à Montfort-l'Amaury et se plonger dans des lectures.
J'ai bien aimé aussi découvrir les représentations qu'il y avait de lui, les peintures, les photographies. On voit quelqu'un d'apprêté, toujours avec un sourire en coin, qui met un peu à distance. Il y a toujours une distance, il se cache en permanence. Il y a aussi trois vidéos qui existent de lui, muettes. On voit qu'il déteste la présence de la caméra, que ça le tend. J'ai réussi à à percevoir ces quelques petites choses.
La composition du Boléro, vous l'avez joué comme la révélation de cet homme "caché" ?
Raphaël Personnaz : J'ai le sentiment que le temps auquel il est contraint par Ida Rubinstein, trois mois pour faire le Boléro, fait que sa véritable personnalité sort. Il ne peut plus, justement, masquer les choses. On ne peut plus corseter tout ça, tricher tout ça.
Et c'est malgré lui que cette sensualité, ou sexualité, va apparaître. Lui s'en défend, mais enfin, c'est quand même là. C'est comme si, en réalité, ce morceau était l'expression même de sa personnalité. Volcanique, quelque chose de tendu à l'excès.
J'aime bien l'idée que cette création, qui est toujours là, considérée comme un chef-d'oeuvre, s'est faite à partir d'accidents, des sons du quotidien, de petites choses qu'il va choper à droite à gauche. Dans la manière de jouer Ravel, c'est avoir cette attention aussi, une attention à tous les sons environnants. Il y a autre chose aussi que montre le film, c'est le passage de la guerre et l'importance que ça a eu sur son oeuvre. Dans les compositions qui arrivent après la guerre, la valse, le Concerto pour la main gauche et même le Boléro, on sent un monde qui a été balayé par cette guerre, par la violence des sons qu'il a dû entendre.
J'ai ressenti une amitié immédiate avec Maurice Ravel, un compagnonnage. On a envie de connaître cet homme, c'est l'élève au fond de la classe qui ne dit rien, mais il y a tout un univers. Il y a quelque chose de caché chez lui qui me bouleverse. Il a cette incapacité, il se sent empêché. Je trouve ça très beau.