Dans ses mémoires, le cinéaste Edward Zick raconte sa relation explosive avec Brad Pitt lors du tournage de "Légendes d'automne". Un film dans lequel la performance de l'acteur est bien accueillie, mais dont ce dernier est "mécontent" et en redoute la conséquence...
La naissance d'une superstar
Milieu des années 90, Brad Pitt aborde le passage de star montante à figure d'Hollywood. De la même génération que Tom Cruise et Johnny Depp, sa révélation a été un peu plus tardive que celle de l'interprète de "Maverick" dans Top Gun et celle de l'idole des jeunes ultra-populaire grâce à la série 21 Jump Street. Mais il va très vite rattraper son retard.
En 1992, il s'illustre dans le succès de Robert Redford Et au milieu coule une rivière. Remarqué, Brad Pitt n'a pas encore la reconnaissance critique de Johnny Depp obtenue avec Edward aux mains d'argent et Arizona Dream, et lorsqu'il fait face à Tom Cruise en 1994 dans Entretien avec un vampire, ce dernier est déjà une superstar d'Hollywood.
Mais tout va définitivement changer cette même année et en 1995 avec, en plus du film de Neil Jordan, Légendes d'automne d'Edward Zwick, Seven de David Fincher et L'Armée des 12 singes de Terry Gilliam.
Et si la relation est explosive entre Edward Zwick et Brad Pitt sur le tournage de Légendes d'automne, c'est bel et bien que Brad Pitt sait déjà exactement ce qu'il veut, et ce qu'il ne veut pas devenir.
"Brad Pitt s'énervait au moment de jouer une émotion profonde"
Dans un extrait des mémoires inédites d'Edward Zick, Hits, Flops, and Other Illusions: My Fortysomething Years in Hollywood, le réalisateur de Glory et Le Dernier Samouraï revient sur son expérience avec Brad Pitt, lorsqu'ils ont tourné ensemble Légendes d'automne. Avec ce mélodrame familial épique, grand succès au box-office mais reçu par des critiques mitigées - en substance, Brad Pitt y est très bon, la photographie est belle mais le film va du simplisme au mièvre -, l'acteur reçoit sa première nomination au Golden Globe du Meilleur acteur.
Pourtant, ce rôle de Tristan Ludlow - et performance qui le met sur la voie de la consécration -, Brad Pitt n'en veut d'abord pas. Il ne lui plaît pas, et peut-être que le fait qu'il ait été développé pour Tom Cruise puis refusé par Johnny Depp n'aide pas... Quoi qu'il en soit, dès la première lecture avec le réalisateur et le reste du casting, l'agent de Brad Pitt annonce à Edward Zick qu'il veut quitter le projet.
C'est au producteur Marshalll Herskovitz qu'est revenu la tâche de garder Brad à bord. C'était le premier signe que des émotions plus profondes bouillonnaient chez Brad. On pourrait se dire que, à première vue, c'est un gars facile, cool, mais il peut être imprévisible s'il est énervé, et je l'ai constaté plus d'une fois quand on a commencé à tourner et à prendre chacun la mesure de l'autre.
Les deux hommes ont en effet des divergences sur la manière dont il faut incarner le personnage de l'histoire écrite par Jim Harrison. Brad Pitt voudrait que ses émotions soient plus retenues, à l'inverse d'Edward Zwick. Aucun des deux ne lâchent du terrain, et en partie par rancune du réalisateur.
Il devenait nerveux. dès qu'il devait tourner une scène où il fallait afficher une émotion profonde. (...) Brad avait grandi avec des hommes qui maîtrisaient leurs émotions ; je pensais moi que le sens du roman était que la vie d'un homme était la somme de ses peines. Le plus je poussais Brad à se révéler, le plus il résistait. J'ai continué à pousser, et il a continué à résister.
Rancune, erreurs et regrets d'Edward Zwick
Edward Zwick raconte ensuite que les tensions se sont exacerbées, au point où le réalisateur l'a directement interpellé pour le corriger, devant toute l'équipe, admettant plus tard que c'était "une provocation stupide et humiliante de sa part". Brad Pitt ne s'est pas écrasé, lui intimant, aussi devant tout l'équipe, de "redescendre". Edward Zwick reconnaît volontiers qu'il aurait dû donner 5mn de pause à tout le monde et prendre à part Brad Pitt pour discuter de leurs points de désaccord. Mais par fierté, et par rancune, il explique n'avoir rien fait pour éviter le conflit.
J'étais dans un état d'esprit conflictuel, et je ne voulais rien lâcher. Je lui en voulais de ne pas faire confiance à mon influence sur sa performance, et pour sa sa réticence affichée après la première lecture. Qui sait, j'ai probablement agi avec ma propre incapacité à être vulnérable. Et Brad allait se battre pour son point de vue. Pour sa défense, je le poussais à faire quelque chose qu'il pensait soit être une erreur pour le personnage, soit quelque chose qui le rendrait à l'écran plus "émotif" que ce qu'il voulait apparaître.
Brad Pitt "mécontent" de Légendes d'automne
Néanmoins, malgré des "explosions" l'un sur l'autre, Edward Zwick souligne la franchise, la droiture, et l'exigence de soi-même de Brad Pitt. Une franchise dont l'acteur fait preuve lorsqu'il déclare au réalisateur ne "pas être content" du film fini, lui reprochant d'avoir "minimisé" son personnage. Ce pourquoi, à la réflexion, Edward Zwick écrit regretter une coupe qu'il a faite au montage final.
J'ai coupé un seul plan de la scène où Tristan, fiévreux, crie quand les vagues submergent la goélette. C'était un plan qu'il aimait beaucoup, et ça n'aurait rien coûté de le laisser. J'aurais dû le laisser. Mes excuses, Brad. Il était aussi mécontent quand People l'a élu "homme le plus sexy du monde", quelque chose dont je refuse toute responsabilité, en bien comme en mal.
Cette dernière mention indique qu'Edward Zwick suggère que Brad Pitt a pu lui en vouloir d'être en partie responsable du phénomène qu'il souhaitait éviter : devenir un sex-symbol. C'est en février 1995 qu'il est ainsi distingué par le magazine People, soit plusieurs mois avant la sortie de Seven.
Le film de David Fincher, comme celui de Terry Gilliam ensuite, ont paradoxalement servi ce statut en lui offrant pourtant des performances bien moins lisses et esthétiquement consensuelles. À la sortie américaine de Seven en septembre 1995, Brad Pitt confiait de son côté au Chicago Sun avoir l'intention d'arrêter " ce truc de "pretty boy"... et jouer quelqu'un avec des failles."
Mais sa malédiction étant de ne pouvoir être que beau, il faut alors l'être différemment, comme mourir très violemment et incarner la mort dans Rencontre avec Joe Black, après avoir interprété l'alpiniste et membre du parti nazi Heinrich Harrer dans Sept ans au Tibet. Mais rien n'y fait et ce n'est sûrement pas Fight Club qui inverse la tendance en 1999, puisque cette performance la pousse même à son apogée, consécration définitive de l'icône plastique Brad Pitt.