Lorsque Norman Jewison propose à Sidney Poitier le rôle de Virgil Tibbs dans le polar "Dans la chaleur de la nuit", le comédien fait très vite une demande au réalisateur : ne pas tourner dans le Sud ségrégationniste des États-Unis. L'acteur accepte malgré tout de se rendre quelques jours dans le Tennessee, où il reçoit des menaces de mort.
Dans la chaleur de la nuit : appelez-le Mr. Tibbs
Conquis par sa performance dans Le Lys des champs, Norman Jewison décide de confier le rôle de Virgil Tibbs à Sidney Poitier. Dans les premières minutes de Dans la chaleur de la nuit, cet officier de police est arrêté par un confrère raciste, qui l'accuse du meurtre qui vient d'être commis à Sparta, petite ville du Mississippi. Rapidement libéré mais sans la moindre excuse, Tibbs se voit ordonner par son supérieur de rester sur place quelques jours pour tenter de retrouver l'assassin.
Le policier de Philadelphie est contraint de faire équipe avec le shérif Bill Gillespie (Rod Steiger), autoritaire et raciste. Virgil Tibbs doit en plus conjuguer avec les habitants, dont certains sont décidés à le tuer.
Warren Oates et Lee Grant complètent la distribution de ce thriller. En 1968, le long-métrage remporte cinq Oscars : Meilleur film, Meilleur acteur pour Rod Steiger, Meilleur scénario adapté pour Stirling Silliphant, Meilleur montage pour Hal Ashby et Meilleur son. Deux ans plus tard, Sidney Poitier incarne à nouveau le protagoniste créé par l'écrivain John Ball dans Appelez-moi Monsieur Tibbs !, où il mène cette fois l'enquête à San Francisco.
Un personnage éloigné des stéréotypes racistes
Si le comédien accepte le rôle principal de Dans la chaleur de la nuit, c'est parce qu'il veut s'écarter que des personnages stéréotypés confiés aux Afro-Américains dans l'industrie hollywoodienne de l'époque. Cité par le site du musée néerlandais EYE Film, l'acteur explique en 1967 :
Les Afro-Américains joués à l'écran étaient toujours négatifs. Des bouffons, des clowns, des majordomes traînants... C'était le contexte quand je suis arrivé il y a 20 ans et je ne voulais pas contribuer aux stéréotypes. Je veux qu'en quittant le cinéma, les spectateurs se disent que les êtres humains et la vie en valent la peine. C'est ma seule philosophie vis-à-vis des films que je fais.
Les craintes de Sidney Poitier
Ayant lui-même subi le racisme, Sidney Poitier fait néanmoins part de ses réticences à Norman Jewison quant au fait de tourner dans le Sud des États-Unis. Peu de temps avant, en 1964, alors qu'il transporte de l'argent avec Harry Belafonte pour le Freedom Summer, projet important des mouvements des droits civiques, le comédien doit échapper à des membres armés du Ku Klux Klan. Il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles l'acteur craint pour sa sécurité pendant la production de Dans la chaleur de la nuit, comme le raconte Norman Jewison au Hollywood Reporter en 2017 :
Très tôt, Sidney m'a demandé : "Où vas-tu tourner le film ?". Je lui ai répondu : "Eh bien, j'ai des scènes dans des champs de coton, des scènes dans le Sud des États-Unis. J'essaie de rendre tous mes films crédibles, donc la première chose que je dois faire est de trouver des lieux crédibles". Et il m'a répondu : "Je ne vais pas au sud de la ligne Mason-Dixon (démarcation entre les États abolitionnistes et les États ségrégationnistes, ndlr)". Il l'a dit avec tant d'emphase que j'ai compris que c'était très important pour lui. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a dit : "J'ai vécu une expérience troublante avec Harry Belafonte en Géorgie, où nous avons été poursuivis et menacés".
Un tournage tendu
Le cinéaste assure donc à l'interprète de Virgil Tibbs qu'il fera tout pour rester au nord de la ligne Mason-Dixon. Il découvre la ville de Sparta dans l'Illinois et transforme cette bourgade en petite ville de l'État du Mississippi pour le film. Mais ce cadre ne suffit pas. Norman Jewison et son équipe doivent aussi se rendre quelques jours dans le Tennessee pour d'autres plans, dont ceux dans les champs de coton. Face aux inquiétudes de Sidney Poitier, le réalisateur essaie de se montrer rassurant et lui affirme :
Ne t'inquiète pas. On te protègera. Tu ne te retrouveras pas seul là-bas au milieu de manifestants.
Résidant quelques jours dans un Holiday Inn, seul hôtel de la région où des Afro-Américains peuvent louer une chambre, le comédien dort avec un revolver sous son oreiller, d'après l'Independent. Des habitants le menacent de mort et malgré les promesses de Norman Jewison, l'équipe doit retourner au plus vite dans l'Illinois pour éviter le danger et terminer le film.