En incarnant en 2021 un homme atteint d'un cancer dont il ne guérira pas dans "De son vivant", Benoît Magimel livre une performance déchirante qui lui vaut le premier de ses deux Césars consécutifs du Meilleur acteur. Retour sur une renaissance par la tragédie.
Les deux vies de Benoît Magimel
Aujourd'hui, à l'aube de ses 50 ans, Benoît Magimel fait partie des acteurs français les plus admirés et demandés. Un statut qui n'est pourtant pas nouveau pour lui. En effet, il y a 36 ans, en 1988, il se révélait dans La vie est un long fleuve tranquille dans le rôle de Momo. Il aurait pu, dix ans plus tard, être la star de Taxi. Mais il décline, et c'est finalement dans le registre du cinéma d'auteur qu'il gagnera popularité et reconnaissance critique.
En 2001, il incarne ainsi une passion destructrice dans La Pianiste de Michael Haneke, face à Isabelle Huppert. Chose rare, le Festival de Cannes distingue trois fois le film : Prix d'interprétation masculine pour Benoît Magimel, Prix d'interprétation féminine pour Isabelle Huppert et Grand Prix du Jury pour Michael Haneke. On le voit ensuite, notamment chez Claude Chabrol, pour La Fleur du Mal (2003), La Demoiselle d'honneur (2004) et La Fille coupée en deux (2007).
Fidèle aux amitiés forgées à ses débuts, il collabore par ailleurs, plusieurs fois et pour des résultats inégaux, avec Florent Emilio-Siri, Jalil Lespert ou encore Frédéric Schoendoerffer. S'il enchaîne et travaille beaucoup, il ne connaît cependant plus une reconnaissance comparable à celle qui le portait au début des années 2000. Mais en 2015, sa rencontre avec Emmanuelle Bercot, selon ses propres termes aux César 2016, "au moment où il en avait le plus besoin" - faisant référence à son addiction à la cocaïne et à l'héroïne -, va lui permettre d'entamer sa renaissance.
Sous la direction de la réalisatrice, il obtient ainsi le César du Meilleur acteur dans un second rôle en 2016 pour La Tête haute. Puis il la retrouve la même année pour La Fille de Brest. Et entre 2019 et 2020, ils tournent ensemble De son vivant, qui sortira en 2021 et le consacrera, de nouveau.
Mourir pour renaître
De son vivant est un mélodrame, dont la violence n'a d'égale que la tendresse qui est mise en oeuvre, qui raconte la mort d'un homme encore jeune, 39 ans, condamné par un cancer du pancréas. Professeur de théâtre, il va vivre sa dernière année accompagnée de sa mère Crystal (Catherine Deneuve).
Le sujet est terriblement risqué, et ouvre les portes à tous les élans et les partitions à tous les violons qui généralement caricaturent le genre. Mais grâce à la performance mémorable de Benoît Magimel, s'abandonnant entièrement à la tragédie de son personnage, grâce aussi à l'élégance de sa bande originale, aux performances de Catherine Deneuve et Cécile de France autour de l'acteur principal, De son vivant est intense sans outrances, intime sans être voyeur et profondément humain dans son approche frontale de la maladie.
Benoît Magimel y joue un homme qui s'éteint et qui doit faire la paix avec ses regrets, ses non-dits, faire vivant le deuil de sa vie dont il ne sait pas si elle a été assez vécue. Sa transformation physique est impressionnante, et sa performance remarquable notamment parce que le film a été tourné à l'envers : il est arrivé très amaigri sur le plateau, et a donc commencé par tourner les derniers jours de son personnage, avant de reprendre du poids pour donc revenir progressivement à la relative bonne santé de son personnage au début du film.
Une nouvelle séquence brillante
Pour sa performance dans De son vivant, Benoît Magimel reçoit en 2022 le César du Meilleur acteur. Son premier, pour sa première nomination dans cette catégorie. À cette occasion, très ému, il rend à nouveau hommage à Emmanuelle Bercot :
Quelle chance de l'avoir rencontrée, de l'avoir dans ma vie. C'est extraordinaire. Grâce à elle, j'ai des rôles magnifiques, des partitions extraordinaires.
Depuis le tournage De son vivant, Benoît Magimel se trouve à des sommets inédits. Il est entré dans cette catégorie d'acteurs rares qu'on vient voir, peu importe le personnage qu'il joue, puisqu'on vient le voir lui. Ainsi, il vole la vedette aux acteurs principaux d'Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux en 2022, même année où il incarne avec une grande justesse un survivant d'attentat face à Virginie Efira dans Revoir Paris.
Un coup de chance ? Sûrement pas. En 2023, il réalise une performance inédite en devenant le premier acteur à obtenir deux César du Meilleur acteur consécutifs, primé à nouveau pour sa partition monumentale dans Pacifiction d'Albert Serra. Et comme pour De son vivant l'année précédente, il obtient aussi le Lumière du Meilleur acteur pour ce rôle. La suite ? Il retrouve Juliette Binoche, avec qui il a été en couple, pour la belle histoire d'amour et ode à la gastronomie La Passion de Dodin Bouffant, Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2023.
Une séquence absolument brillante d'un acteur au sommet de son art, redevenu systématiquement surprenant après quatre décennies de carrière, et qu'on n'aura peut-être jamais autant désiré qu'aujourd'hui.