Polar tendu et très abouti, "Emily the Criminal" pourrait bien se trouver une belle place au palmarès du 48e Festival du cinéma américain de Deauville. Récit d'un destin criminel presque ordinaire, le film de John Patton Ford, avec une rayonnante Aubrey Plaza dans le rôle-titre, est aussi une critique imparable du marché du travail américain.
Le dernier film de la compétition serait-il le meilleur ?
Présenté dans la matinée du vendredi 9 septembre, Emily the Criminal est le dernier film de la compétition du 48e Festival du cinéma américain de Deauville à être montré. Et dans la liste des 13 films qui concourent à une récompense, ce premier long-métrage de John Patton Ford pourrait bien créer la surprise. En effet, le hasard de la programmation a peut-être fait en sorte que le meilleur soit gardé pour la fin.
Au milieu d'une compétition qui a essentiellement fait la part belle à des chroniques sociales et des drames touchant à l'enfance, l'adolescence et la famille, Emily the Criminal se distingue d'emblée par son inscription pleine, comme Watcher, dans le cinéma de genre.
En l'espèce, le genre du polar, dont le réalisateur et l'actrice principale Aubrey Plaza - aussi productrice du film - utilisent avec brio les codes pour raconter l'histoire d'Emily. L'histoire d'une jeune femme de bonne volonté qui, se heurtant à l'extrême dureté du marché du travail américain, va plonger dans le monde criminel de Los Angeles. Et on n'en fera pas mystère, Emily the Criminal, parfaitement calibré, nerveux et à la noirceur hypnotique, apparaît comme une franche réussite.
Une critique sociale limpide
Emily est encore jeune, peut-être une toute petite trentaine, et elle a un très important prêt étudiant à rembourser. Elle vit en colocation et aimerait bien se remettre à son art, la peinture et le design, mais en plus de sa dette elle a un casier judiciaire. Pour survivre, elle travaille comme livreuse pour une "cuisine fantôme". Un jour, un de ses collègues lui propose un "bon plan", qui lui fera gagner 200$ en une heure. À partir de là, un engrenage se met en place. Elle rencontre Youcef (Theo Rossi), qui gère sa petite d'entreprise d'escroqueries. Avec lui, elle va alors pénétrer plus loin dans la criminalité.
Une des grandes qualités d'Emily the Criminal est d'offrir un personnage d'anti-héroïne très loin des clichés du genre. Emily n'est pas amoureuse, n'est pas une combattante physique, n'est pas une femme fatale. Emily veut simplement régler ses dettes et, peut-être, faire quelque chose de sa vie. Sans peur et sans regrets, Aubrey Plaza livre une performance très aboutie d'une femme qui a compris que le marché du travail américain n'offre pas de secondes chances, utilise les individus comme de la chair à profit, paierait toujours au lance-pierres et écraserait les plus faibles.
Alors, saisissant que le mythe du rêve américain est bel et bien mort, elle trace sa route sans jamais se laisser abattre. Jusqu'à un dénouement plutôt heureux mais qui ne renie pas la noirceur d'ensemble d'Emily the Criminal.
Un polar réussi
Révélée au cinéma dans des comédies comme Funny People et Scott Pilgrim, et à la télévision dans la série Parks and Recreation, Aubrey Plaza montre enfin toute l'étendue de son talent et rayonne dans le rôle d'Emily. Il y a dans son personnage, maraudeuse des rues et des nuits d'un Los Angeles inhospitalier, quelque chose de ceux de Michael Mann, ou encore de ceux de Nicolas Winding Refn version Drive. Déterminée, elle ne s'en laisse pas compter et embrasse, sans passer par quatre chemins, le seul destin qui lui reste. Celui de devenir une criminelle.
Nerveux, compact et sans temps mort, Emily the Criminal se sublime quand Emily prend le récit à sa charge, passant d'employé de Youcef à cheffe de sa propre destinée. "Petit" film, Emily the Criminal n'en est pas moins une très belle promesse pour la suite de la carrière de son auteur, avec sa galerie de personnages secondaires crapuleux, ou alors lâches et égoïstes pour ceux qui sont du "bon côté" d'un système bien plus responsable de la violence ambiante que ne le sont les individus.
Marquant et captivant de bout en bout, Emily the Criminal est définitivement un de nos coups de coeur de ce 48e Festival du cinéma américain de Deauville.