Ce sont des hommes et pourtant leur vie ressemble à celle des chiens errants. Le Taïwanais Tsai Ming Liang, cinéaste du temps suspendu, dénonce dans son dernier opus la précarité sévissant dans des villes inhumaines.
Il y a une dizaine d'années, le réalisateur avait été frappé par l'image d'un homme immobile tenant un panneau publicitaire à un feu rouge d'une artère de Taipei. Et de s'interroger: combien de temps va-t-il rester là? Combien gagne-t-il? Quand va-t-il aux toilettes? Etc. Dans Les chiens errants, en salles mercredi, ce personnage énigmatique revit sous les traits d'un homme-sandwich planté des heures durant au beau milieu d'artères saturées de voitures. La nuit, ses deux enfants et lui trouvent refuge dans des bâtiments à l'abandon, sans eau ni électricité, dormant dans un même lit.
Pour Tsai Ming Liang, le développement ultra-rapide des villes en Asie fait payer aux hommes "un tribut qui frise l'insanité": chômage, précarité, bâtiments insalubres suintants - des larmes ou des rides, explique dans le film une femme à la petite fille pour la rassurer. Le cinéma radical de Tsai Ming Liang, dont le film a reçu le grand prix du jury de la dernière Mostra de Venise, s'exprime dans de longs plans fixes donnant l'impression au spectateur que le temps est suspendu. Les personnages se déplacent comme dans un cadre avec une précision chorégraphiée. Une larme coule simplement sur une joue.
Son dernier film ?
Tsai Ming Liang joue avec la matière des murs délabrés qui semblent le fasciner, à l'égal de la fresque d'un paysage découverte par hasard par les héros dans un immeuble à l'abandon (et par le cinéaste pendant les repérages). Dans cette vie perdue, la caméra colle au père (joué par l'acteur fétiche du cinéaste, Lee Kang Sheng), tandis que les enfants survivent en mangeant des échantillons de nourriture dans des supermarchés aussi aseptisés que la rue est sale. Tsai Ming Liang montre par moment une nature magnifiée dans laquelle les personnages pourraient trouver refuge, mais la pluie battante balaye tout espoir dans une scène rappelant La Nuit du chasseur.
La puissance du cinéma de Tsai Ming Liang peut dérouter car les plans n'ont pas forcément de lien narratif entre eux. De toute manière, le cinéaste ne cherche pas à plaire. "Depuis quelques années, je suis dégoûté par la soi-disant valeur divertissante des films, les mécanismes du marché et la quête forcenée de popularité", dit-il dans les notes de production. Les chiens errants pourrait être son dernier film, avertit le réalisateur de 56 ans dont les précédentes oeuvres ont toutes ou presque été projetées dans les grands festivals mondiaux et souvent couronnées de prix, comme Vive l'amour, en 1994, La rivière, en 1997, ou encore La saveur de la pastèque, en 2005.
Les fans de Tsai Ming Liang pourront encore apprécier son travail en regardant sur Arte, le 17 mars, Le voyage en Occident, un 56 mn sur un moine bouddhiste traversant Marseille comme au ralenti, dans une ville aux rues animées.
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(9 Mars 2014 - Relax News)