"Don Juan, c'est de la merde !": la poursuite folle du beau rôle de Vimala Pons et William Lebghil

"Don Juan, c'est de la merde !": la poursuite folle du beau rôle de Vimala Pons et William Lebghil

Excellente comédie romantique, "Le Beau rôle" de Victor Rodenbach est sublimé par les performances saisissantes de William Lebghil et Vimala Pons, aussi drôles que touchants dans l'histoire d'un couple d'artistes en rupture amoureuse et professionnelle. On les a rencontrés, pour un entretien pas comme les autres...

Vimala Pons et William Lebghil dans l'exploration touchante d'un couple d'artistes

Fin de journée, fin de semaine, fin d'année. Dans les bureaux du distributeur de Le Beau rôle, très jolie comédie romantique de Victor Rodenbach, Vimala Pons et William Lebghil assurent les dernières interviews avant la sortie de ce film dans les salles, le 18 décembre 2024. De la fatigue donc, mais aussi de la familiarité et de la sincérité, cette authenticité ravissante qui perce quand les digues de l'ennuyeuse bienséance se fissurent.

Et c'est bien de la fin de quelque chose dont il est question dans Le Beau rôle. La fin d'un couple d'artistes, Nora et Henri, jusque-là en fusion dans leur métier de metteuse en scène et d'acteur de théâtre. Les deux se nourrissent du regard de l'autre, de leur désir à la fois personnel et professionnel, mais tout change lorsque qu'Henri trouve enfin un beau rôle de cinéma, loin des planches de théâtre, l'univers de Nora.

La fin d'un amour et d'une collaboration, et donc un nouveau départ obligé pour l'une et l'autre. Film très personnel de son auteur, scénariste pour les écrans et en couple avec Pauline Bayle, comédienne et metteuse en scène de théâtre, Le Beau rôle explore avec une énergie renversante le déchirement d'un couple entre deux mondes, celui du théâtre et du cinéma, mêlant avec habileté la peinture de caractères et la comédie de situations.

Un casting idéal

Le Beau rôle exploite intelligemment dans son écriture certains codes de la comédie de re-mariage et offre une poignée de remarquables mises en scènes, mais c'est particulièrement par la grâce de son casting qu'il caresse quelques sommets. Le choix de ses comédiens est toujours fondamental, et Le Beau rôle allie le meilleur de ses deux acteurs principaux, Vimala Pons et William Lebghil. À savoir, pour elle, une forte singularité, confiante et éblouissante, et pour lui un mystère très séduisant, une douce sensation d'égarement constant et néanmoins de désir d'action. Et à l'épreuve d'une rupture amoureuse et professionnelle qui peut foncer ces couleurs comme leur en donner d'autres, l'une et l'autre, dans leurs personnages, vont se redécouvrir.

Géniaux dans les images de Le Beau rôle, ils le sont aussi au moment de les rencontrer, s'amusant de la proximité avec leurs rôles, redoublant d'ironie et de vannes. Nora est en effet une metteuse en scène, ce qu'est aussi Vimala Pons. Henri est un acteur qui aspire à un autre univers, une autre représentation, ce à quoi William Lebghil, souvent recruté pour son talent comique, aspire peut-être lui aussi avec des performances récentes, plus dramatiques et profondes, très remarquées... Rencontre sans barrières et en roue libre avec deux artistes en pleine forme.

Comment présenteriez-vous, en quelques mots, l'histoire de Le beau rôle ?

Vimala Pons : C’est l’histoire d’un couple…ah je déteste ce mot.

William Lebghil : "couple" ?

Vimala Pons : Oui. J’ai l’impression de voir deux pigeons qui chient dans une gouttière... (rires) C’est l’histoire de l’amour après l’amour ! Est-ce que l’amour existe après l’amour ? Quand est-ce que l’amour cesse d’exister ? "Do you believe in love after love" ? Je le fais aussi en anglais.

William Lebghil : Cher.

Vimala Pons : Très cher.

William Lebghil : Et rien à voir avec le Loir et Cher. De Michel Delpech.

Vimala Pons : Cette dernière vanne est... (rires)

William Lebghil : C'est l'histoire de l'opportunité de redevenir un être à part entière, d’être un. Au début du film, ce couple est un peu un monstre à deux têtes. Donc en séparant cet être à deux têtes, il y a l’opportunité d’évoluer, de changer, et peut-être pourquoi pas de se retrouver.

Le Beau rôle
Le Beau rôle ©Jour2Fête

Dans ce jeu de regards, d'existences pour l'autre, pourquoi Henri ne veut-il plus être regardé par Nora ?

Vimala Pons : Moi aussi j’en ai ras le bol de moi-même.

William Lebghil : Mais ça va pas ou quoi ?

Vimala Pons : J’ai envie de faire de la chirurgie esthétique, déjà, refaire mes oreilles. Des petites oreilles, ça transforme un visage.

William Lebghil : Mais non, elles sont super !

Vimala Pons : Bon… en vrai, je comprends très bien qu’on en ait marre de moi, en particulier de Nora, parce que finalement ce n’est pas loin d’être la même chose....

William Lebghil : Oui, enfin, c’est écrit, tout ça est prémédité. Pas comme si tu avais eu le choix.

Vimala Pons : Je trouve que c’est compliqué d’instrumentaliser l’autre à des fins de se réaliser soi-même. Le rapport hiérarchique entre un metteur en scène et un acteur existe. Mais les acteurs écrivent énormément, au théâtre encore plus qu’au cinéma, où ils peuvent être vraiment des piliers. Il s’agit donc plutôt d’un duo de création, et c’est en tout cas ce que je m’étais raconté pour ce film. Ils définissent ensemble qu’ils vont monter Ivanov, lui veut le jouer. On ne le voit pas beaucoup dans le film, mais moi je l’ai beaucoup imaginé. Perdre son acteur… on a entendu beaucoup le mot "muse" dans la promotion du film pour décrire Henri, et moi je ne suis pas d’accord ! C’est un mot que je n’aime pas…

William Lebghil : À la limite une cornemuse.

Vimala Pons : On ne va jamais y arriver.  Là, moi, je suis en train de produire des réponses, et toi tu déconstruis tout, mais pas dans le sens actuel.

William Lebghil : À l’ancienne.

Vimala Pons : Voilà, Jean Gabin avec des sécateurs.

William Lebghil : Jean Gabin qui déconstruit une saucisse de Morteau. (rires)

Vimala Pons : Un truc que je n’aime pas chez moi mais que j’aime chez ce personnage, c’est la surenchère d’énergie. C’est marrant, mais c’est fatigant. Et quand je vois William jouer, c’est très précieux. Il m’a portée et appris plein de choses, parce qu’il construit toujours quelque chose entre nous. Il y a beaucoup d’acteurs qui ont des projets pour leurs séquences, et j’en fais partie donc je m’inclus dans cette critique, où t’as une idée de ce qui va se passer, t’es un peu stressé donc tu n’écoutes pas vraiment l’autre, tu n’écoutes pas la situation et tu ne t’écoutes pas toi, à ce moment précis. William fait tout l’inverse. Il écoute ce qu’il se passe, et il réagit. Être acteur, je crois, c’est plus réagir que répondre. Mais c’est très difficile à faire, et je pense que William est un immense acteur.

William Lebghil : Allez, merci, ciao ! (Il fait mine de partir)

Nora (Vimala Pons) - Le Beau rôle
Nora (Vimala Pons) - Le Beau rôle ©Jour2Fête

William, vous confirmez cette entente avec Vimala, pour cette toute première collaboration dans un film ?

William Lebghil : On s’est retrouvés avec Vimala. Parce que si on a des caractères différents, en sous-couche on se ressemble, sûrement beaucoup. Mais, moi, cette débauche d’énergie me fascine et me passionne. Je trouve ça génial, parce que ce sont des endroits où j’aimerais être. On a, je crois, toujours un peu envie d’être celui qu’on n'est pas. Et notre rencontre, je le dis sincèrement, c’est un petit peu comme à la rentrée des classes. Au premier jour il y a des gens, tu les vois, et tu sais immédiatement que tu as envie de jouer dans le bac à sable avec eux.  Et de jouer comme des bébés chiens. Des chiots. (Elle aboie)

Vimala Pons : C’était une évidence dès les essais.

William Lebghil : Aussi, Vimala a cette capacité à ne pas filtrer, à dire ce qu’elle pense sans forcément avoir peur de blesser.

Vimala Pons : C’est quand même brutal. Un peu bourrin.

William Lebghil : Non, je trouve que c’est franc et qu’il y a du panache. C’est une franchise pour faire avancer les choses. Par exemple, il y a des séances de travail où on est tous un peu timides, et Vimala arrive et elle remet tout en question. C’est génial parce que ça amène du frais, de la matière pour avancer. Il y a un moment dans le film, et je trouve ça super de l’avoir gardé, où il y a une phrase d’Ivanov sur l’amour actif. Cette phrase est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté le rôle, ça m’a littéralement fait pleurer quand je l’ai lue dans le scénario.

Mais, au fil des versions, cette phrase a disparu. On est passé par Platonov, Don Juan… Et puis un mois avant le tournage, on ne s’était pas revus depuis les essais, toi tu t’es souvenue de cette phrase. Tu te souvenais de ça, de cette raison qui m’avait poussé à faire le film. Alors qu’on ne s’était pas du tout concertés.

Vimala Pons : J’ai tout de suite dit, "je veux pas Don Juan".

Don Juan c’est de la merde, ça ne parle de rien d’intéressant, tout le monde était là : "ah putain elle est trop chiante".

William Lebghil : Moi j’avais surtout peur que tu te casses !

Vimala Pons : Je me disais juste, "pourquoi Victor a changé ?" Sa première intuition était la bonne. Qu’est-ce que Don Juan racontait par rapport à ça ? Alors qu’Ivanov parlait en méta beaucoup plus des sujets du film.

Comment était, sur ce type de situations, le travail avec Victor Rodenbach ?

William Lebghil : Beaucoup de discussions. Victor a une ouverture et une facilité, sûrement parce qu’il est scénariste, il sait lâcher quelque chose qu’il a écrit parce qu’on a eu une conversation et qu’on a pris une autre direction. Le scénario a beaucoup évolué, et c’est génial parce qu’on évite le piège, c’est l'impression que j’ai, du premier film où on veut vraiment filmer ce qu’on a écrit, avec la peur de sortir des clous. Victor était tout à l’inverse, en détente et à l’écoute. C'est un génie, je l'adore.

Retenez-vous une séquence en particulier, une scène que vous trouveriez particulièrement forte ?

Vimala Pons : Le travelling avant sur nous deux pendant le dîner de famille. C’est une belle mise en scène, en petit plan-séquence, et j’adore le dialogue. Je trouve que là on est au pinacle de l’acting.

William Lebghil : C’est quoi le pinacle ?

Vimala Pons : C’est en haut. L’art de l’acting est au pinacle.

William Lebghil : Alors je suis pas loin de penser la même chose.

Vimala Pons : J’adore aussi la séquence où il dit "je me présente, je m’appelle Henri", avec Antonia et Jérémie, que je trouve hilarants, tout est très juste. Cette séquence est très réussie.