CRITIQUE/AVIS FILM - Marion Barbeau danse une valse paranoïaque avec un drone insaisissable et menaçant dans "Drone", premier long-métrage de Simon Bouisson. Un techno-thriller captivant, qui pèche seulement par la générosité excessive de ses nombreuses thématiques.
Drone, dystopie ou réalité ?
Pour son premier long-métrage, Drone, Simon Bouisson poursuit dans la veine du techno-thriller qui l'a révélé avec la série Stalk. L'histoire de cette série à succès est celle de "Lux", jeune génie de l'informatique qui se fait bizuter et humilier lorsqu'il intègre la meilleure école d'ingénieur de France. Pour se venger, il va pirater les appareils des étudiants "stars" de l'école, pour se rapprocher d'eux et les manipuler. Isolement, harcèlement, paranoïa, intrusion dans la vie privée via des technologies qui dépassent vite leurs utilisateurs... On retrouve ainsi ces mêmes thèmes dans Drone, avec un traitement d'une ampleur cinématographique audacieuse et parfois renversante.
Émilie (Marion Barbeau), issue d'un milieu modeste, arrive à Paris pour finir son cursus d'architecte. Taciturne, timide et mal à l'aise, elle a dû mal à aller vers les gens. Mais elle n'en a pas vraiment besoin, puisque c'est les gens qui viennent à elle, captivés par sa présence et son mystère. Timide dans la réalité, elle l'est un peu moins une fois chez elle, dans le petit appartement d'une tour anonyme dont elle ferme très souvent le volet. En effet, elle se fait un peu de revenus en tant que camgirl, dévoilant son corps et nourrissant des fantasmes d'inconnus via l'écran de son ordinateur.
Un jour, elle s'aperçoit avec stupeur, puis avec une angoisse grandissante, qu'un drone la suit et l'épie sans relâche. Un drone particulièrement agile, futuriste, dont elle ne connaît pas le pilote. Seuls des messages anonymes arrivent régulièrement pour lui proposer de l'argent, contre la présence de plus en plus oppressante de ce mystérieux drone...
Un thriller généreux et paranoïaque
Drone a un défaut, celui d'être trop généreux. Le plus joli des défauts, puisque dans ce premier long-métrage transpire l'envie de l'oeuvre totale, celle qui mêle une forme radicale (le POV, l'utilisation jusqu'à ses limites de la caméra-drone en plan-séquence) à un discours clairvoyant et critique sur la société contemporaine. Sans oublier les performances soignées d'un casting très volontaire et inspiré. Marion Barbeau, Stefan Crepon (Olivier) et Eugénie Derouand (Mina) y brillent, formant un trio qui couvre tout le spectre psychologique de la jeunesse d'aujourd'hui, de l'introversion douloureuse à l'extraversion épanouie en passant par la détestation de soi qui se répercute sur les autres.
De quoi ce drone est-il l'allégorie ? Qui le contrôle, et à quel fin ? D'ailleurs, existe-t-il bel et bien ou est-il une invention d'Émilie, qui est traquée aussi bien par Olivier, son camarade d'école aux penchants pervers, que par Richard (Cédric Kahn), architecte star qui se révèle manipulateur après l'embauche inattendue d'Émilie dans son agence. L'a-t-il choisie pour ses talents d'architecte ou pour autre chose ? Émilie est-elle paranoïaque ou a-t-elle raison de se méfier ?
Un film de genre à plusieurs lectures
Une prédation est visée dans Drone, sans que celle-ci ne soit parfaitement circonscrite. Au centre de cette critique se découvre évidemment la dictature des images, celles que l'on donne de soi et celles qu'on prend des autres. Critique de ces images, et logiquement tout le matériel qui les crée : webcam, appareil photo... et drone(s). Le corps d'Émilie, désiré autant par les anonymes qui s'y connectent par internet que par les personnes qu'elle côtoie au quotidien, Simon Bouisson en fait un corps de cinéma, comme Ridley Scott l'avait fait en son temps avec celui de Sigourney Weaver dans Alien. Un corps observé, bousculé, traqué et blessé.
Un corps qui s'offre littéralement à la caméra, celle du drone comme celle du film, et qui finit par danser puis se battre avec. Danseuse professionnelle, Marion Barbeau livre ainsi dans Drone une performance physique remarquable qui captive à chaque mouvement. Mais il est si captivant que tout y est sensible, et qu'il provoque un emballement thématique qui fait rater au film l'épure qui l'aurait monté à un niveau supérieur.
En effet, Drone se lance sur de nombreuses lignes, s'ouvre sur des pistes dont on ne sait pas bien si elles sont fausses ou simplement suggérées. Si cela sert la paranoïa générale qui nourrit les sensations éprouvantes du film, cela donne aussi un ressenti de longueur regrettable pour une durée relativement courte (1h50). Quoi qu'il en soit, sa jolie photographie des nuits où le drone prend son envol et les personnages s'animent, son écriture critique pertinente du culte des images et ses performances de casting comme de mise en scène font de Drone un film de genre surprenant et réussi, et un thriller dystopique à la résonance contemporaine saisissante.
Drone de Simon Bouisson, en salles le 2 octobre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.