Dans "Les Pistolets en plastique", Jean-Christophe Meurisse s'attaque à "l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès". On l'a rencontré pour qu'il nous explique le point de départ de cette nouvelle comédie noire à l'acidité folle et pourquoi la représentation de la violence au cinéma lui est nécessaire.
Comédie noire contre fascination morbide
Dans son nouveau film, Les Pistolets en plastique actuellement en salles, Jean-Christophe Meurisse poursuit son cinéma de rupture en tapant sans retenue dans tous les genres pour raconter une histoire aussi divertissante que terrifiante. Après Oranges sanguines en 2021, il tend à nouveau un miroir au public pour le briser, cette fois-ci en racontant à sa manière le grand fait divers français dit "l'affaire Dupont de Ligonnès", célèbre et terrible quintuple assassinat survenu en 2011, et son absurde développement avec l'arrestation du "faux" Ligonnès, Guy Joao, pris à tort pour le père de famille meurtrier et interpellé en 2019 à l'aéroport de Glascow.
Et la manière de Jean-Christophe Meurisse est abrasive, radicale, à la recherche d'une émotion sans concession et qui ne s'embarrasse d'aucune autre stratégie que celle de surprendre et d'éviter que le spectateur prenne son aise face aux monstres qu'il aime exposer. On l'a rencontré et interrogé sur l'origine de ce nouveau film, et sur son utilisation de la violence dans son cinéma.
Qu'est-ce qui vous a conduit à créer autour de ce fait divers et de cette figure qu'est Xavier Dupont de Ligonnès ?
Jean-Christophe Meurisse : Le fait que ce soit un des criminels les plus célèbres, comme Landru. C’est un phénomène, et il faut parvenir à en parler, à s’amuser avec parce que c’est une telle figure… C’est un assassin ignoble qui a tué ses enfants pendant leur sommeil. Et puis quand le "faux" a été arrêté en 2019 à Glascow, Guy Joao, pauvre pré-retraité de Renault qui allait voir sa compagne en Écosse, et tout d’un coup se trouve arrêté comme l’ennemi public n°1… Il y avait un potentiel cinématographique, quelque chose les frères Coen auraient pu inventer.
Comme dans le film, quand on interroge la police écossaise, ils répondent qu’ils ont des profilers notés de 1 à 6, comme chez Uber, et il y en a un qui a appelé, noté 6, et qui a dit : "J’ai Ligonnès devant moi". 6 étoiles mais total loser ! Je me suis donc dit qu’il y avait un grand potentiel de côté-là, avec aussi la question de savoir ce que ferait Ligonnès, s’il est toujours vivant.
Comme dans Oranges sanguines, il y a des séquences très violentes dans Les Pistolets en plastique, par exemple la représentation des assassinats. Avez-vous une réflexion particulière au moment d'inclure cette violence ?
Jean-Christophe Meurisse : Non. Je ne me mets pas à la place du spectateur. Je ne suis pas dans leur tête et je ne sais pas ce qui peut leur plaire ou pas. En tant que réalisateur, je pense que cette scène est nécessaire à montrer. Si on prend la question à l’envers : je fais Les Pistolets en plastique et je ne montre pas cette scène, alors que je fais néanmoins un spectacle sur cette histoire d'assassinats... On va me dire que je suis extrêmement cynique, que je ris sur quelque chose que jamais on ne présente. Pour moi, la question ne se pose même pas. Dupont de Ligonnès a tué sa famille, il faut le montrer. Ça change de registre, évidemment, mais je ne veux pas me restreindre à un genre. Comédie, horreur, je ne suis pas dans un carcan.
J’écris, je dirige et je monte avec une émotion. Je n’ai pas de stratégie, tout part de l’émotion. Après, j’ai des limites. Si ça ne me plaît pas intellectuellement, si je ne ressens rien émotionnellement, je ne le fais pas. Ce qui me fait rire, j’y vais, ce qui me fait peur, j’y vais. J’ai un curseur, avec l’équipe qui m’entoure.
C'est cette brutalité du surgissement du mal que vous recherchez à rendre à l'écran ?
Jean-Christophe Meurisse : Dans une journée, vous allez pouvoir rire et avoir peur. Toutes ces émotions-là sont un échantillon de la vie, qu’il est normal de retranscrire au cinéma. La question du massacre est essentielle. C’est la pierre fondatrice de ce film, et on l’a restitué comme il est raconté dans les enquêtes.
Il y a une telle fascination macabre sur ce criminel, il y a tellement de fans de Xavier Dupont de Ligonnès, énormément de Society ont été vendus… Il faut qu’il y ait une catharsis. Je pense même que c’est politique de montrer ce massacre, c’est dire : "voilà, vous rêvez, vous êtes fascinés par cet ignoble assassin qui a tué ses enfants".
J’ai trois enfants, et je pense que c’est bien de casser le miroir. Pourquoi les gens sont-ils à ce point fascinés par le mal, comme avec les true crimes de Netflix ? Il faut montrer ce que c’est, et je crois à cette mission du cinéma. Plus on montre la violence, moins il y en aura dehors, plus on vit le mal par procuration, plus on montre les monstres, plus on ressort du cinéma en se disant : "je ne suis pas comme ça. Et ma vie est belle". C’est nécessaire.
Une représentation nécessaire de cette violence mais sans qu'elle soit glorifiée dans Les Pistolets en plastique, ce qui est un enjeu central du cinéma...
C’est vrai. Elle n’est pas glorifiée, parce que dans la vie la violence vous tombe dessus d’un coup. C’est comme la mort. Il n'y a pas de consentement quand la violence vous tombe dessus. Il n’y a pas d’explication, pas de graduation, pas d'avertissement.
Ça m’est arrivé plus jeune. Je sortais d’une pièce de théâtre, j’étais très heureux, avec des amis et mon amoureuse. J’avais bu un coup, j’étais ivre, j’ai pris le métro et j’étais très bien, entouré de gens que j’aimais. Tout d’un coup quatre types me sont tombés dessus et m’ont tabassé à mort, en quelques secondes. J’aurais pu crever. C’est ça la violence, elle ne demande pas de raison.
Ça m’a beaucoup marqué de pouvoir mourir comme ça, comme d’un arrêt cardiaque, tout d’un coup. La nature des choses ne prévient de rien, et sur ce point l’effet de rupture est quelque chose d’important dans mon cinéma. Et je pense qu’il est bien aussi pour un spectateur d’être dans ces conditions, où la chose vous tombe dessus.