Découvrez notre avis sur le film "Emmanuelle" d'Audrey Diwan avec Noémie Merlant, au cinéma le 25 septembre 2024. Il ne s'agit pas d'un film qui cherche à provoquer par le scandale, mais qui interroge en profondeur la place du désir dans un monde de perfection imposée. Un voyage introspectif, délicat et troublant.
Emmanuelle d'Audrey Diwan : après la douleur, le plaisir
Après avoir plongé dans la douleur avec L’Événement (Lion d'or à la Mostra de Venise en 2021), Audrey Diwan revient avec Emmanuelle, un film qui déplace la réflexion vers le plaisir, mais d'une manière subtile et complexe. Ce n'est pas une simple exploration de la sexualité ou un remake du célèbre film de 1974, mais une nouvelle approche inspirée du roman d’Emmanuelle Arsan. Ici, le plaisir devient un terrain ambigu, presque une absence, une quête qui semble se dérober à chaque instant.
Noémie Merlant incarne une Emmanuelle moderne, professionnelle accomplie qui, paradoxalement, s'est déconnectée de ses propres désirs. Elle travaille dans des palaces, s’assurant que chaque détail est conçu pour offrir une expérience de plaisir optimale aux clients, alors qu’elle-même semble privée de toute capacité à ressentir ce qu’elle est censée évaluer. Dans ce monde luxueux, le plaisir est devenu un produit à consommer, une norme à atteindre, et non une émotion personnelle.
Le film débute par une scène où Emmanuelle, lors d'un vol en classe business à destination de Hong Kong, engage un rapport sexuel mécanique avec un inconnu. Il n'y a ni passion ni désir, juste une action dénuée de sens, réduite à une simple performance. Cette froideur résume parfaitement la vie d'Emmanuelle : un corps en mouvement, coupé de tout plaisir véritable. En totale opposition avec le film de 1974.
Audrey Diwan choisit de ne pas en faire un simple voyage charnel, mais une immersion dans la vie intérieure de son personnage. Le film est moins une quête d’aventures sexuelles qu’une réflexion sur ce qu’est le désir, et ce qu’il devient quand il est étouffé par la pression sociale, la perfection et la satisfaction des attentes des autres.
À travers Emmanuelle, la réalisatrice interroge notre rapport contemporain au corps et au plaisir. Comment retrouver son propre désir dans une société qui impose la performance et où tout semble calibré pour plaire à l’autre, mais rarement à soi-même.
Une autre approche du film érotique
La réalisation de la cinéaste capture cette errance intérieure. Elle filme les silences, les gestes automatiques, la déconnexion profonde d’Emmanuelle avec son corps. Comme dans ses précédents films, la réalisatrice fait du corps un lieu de questionnement. Ici, le corps d’Emmanuelle devient un terrain de réconciliation avec elle-même, mais cette réconciliation est loin d’être évidente ou rapide.
Emmanuelle n’est pas un film facile, ni conçu pour plaire au plus grand nombre. Audrey Diwan propose une réflexion sur l’intimité et le désir qui échappe aux clichés et aux solutions simplistes. Elle pose des questions sans toujours offrir de réponses, et c’est cette ambiguïté qui fait la force du film. En refusant de céder aux attentes traditionnelles de ce que doit être un film érotique, la réalisatrice construit une œuvre qui nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport au(x) corps.
Avec ce film, Audrey Diwan s’affirme une nouvelle fois comme une cinéaste audacieuse, capable de provoquer des émotions et de poser un regard neuf sur des thématiques complexes. Loin des schémas classiques de provocation, elle préfère sonder les zones d'ombre du désir et de la perte de soi.
Ce n’est pas un film qui crie, mais qui chuchote. Là où d'autres films sur la quête du plaisir ou la sexualité peuvent se permettre des démonstrations flamboyantes ou provocatrices, Audrey Diwan opte pour la subtilité et la retenue.
Chaque geste, chaque regard, chaque silence porte un poids plus important que les mots eux-mêmes. Le film ne cherche pas à heurter, mais à inviter le spectateur à écouter ce qui se joue sous la surface, à l'image de l'écrin où se déroule la majeure partie du film.