Dans le drame "En attendant Bojangles" de Régis Roinsard, Virginie Efira livre une grande performance dans le rôle de Camille, une femme pour qui la vie est une fête perpétuelle, au point d'en nier la réalité. Mais cette attitude n'a rien d'anodin ou de capricieux, parce que Camille est atteinte d'une maladie qui la fait glisser irrémédiablement vers la folie.
Virginie Efira, actrice en folie
Au milieu des années 2010, l'actrice Virginie Efira change de dimension. Si elle faisait déjà pleinement partie du paysage cinématographique français, ses performances en 2016 dans Elle de Paul Verhoeven et dans Victoria de Justine Triet l'imposent avec éclat dans le registre dramatique, registre dans lequel elle s'épanouit et éblouit depuis.
Dans Un amour impossible de Catherine Corsini, de nouveau chez Justine Triet dans Sybil, dans Police d'Anne Fontaine, Madeleine Collins d'Antoine Barraud et tout récemment Revoir Paris d'Alice Winocour et Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, Virginie Efira fait à chaque nouveau film la démonstration d'un immense talent. C'est aussi ce que l'on perçoit dans En attendant Bojangles, troisième long-métrage de Régis Roinsard, sorti en 2022.
Elle y incarne Camille, jeune femme fantasque qui vit de manière hédoniste avec Georges (Romain Duris) et leur garçon Gary (Solan Macho-Granader). Toute leur vie n'est que fête, refus de la banalité et de la morosité du quotidien. Parce qu'il est éperdument amoureux d'elle et veut son bonheur, Georges l'accompagne dans cette folie douce. Ils dansent, rient, s'inventent chaque matin une nouvelle identité et des histoires formidables, organisent des fêtes extravagantes, sortent nus dans la rue... Mais cette folie douce cache une vraie démence, un mal qui ronge Camille et qui va se muer en une authentique folie dangereuse, le jour où elle met le feu à l'appartement familial.
De quel mal souffre Camille ?
Dans le livre dont est adapté En attendant Bojangles, le roman éponyme d'Olivier Bourdeaut, la maladie de Camille est plus explicitement évoquée. Mais dans son film, Régis Roinsard a choisi de garder une part de mystère, d'indécision. En partie parce que, à l'époque à laquelle se situe le récit, fin des années 60 et début des années 70, ce dont elle souffre n'a pas encore été entièrement diagnostiqué et établi par le corps médical. En effet, Camille semble souffrir d'un trouble bipolaire aigu. Un terme apparu dans les années 80 pour ce qu'on qualifiait avant de psychose maniaco-dépressive, et encore bien avant qu'on identifiait par la succession d'états de manie et de mélancolie.
Camille souffre ainsi d'une forme de sensibilité extrême, capable de ressentir le plus grand bonheur et de passer immédiatement au plus grand malheur, de l'euphorie à un état dépressif, avec les comportements qui vont avec. Camille se met donc littéralement dans tous ses états, passant d'un extrême à l'autre, ce qui est pour Virginie Efira l'occasion de livrer une performance souvent stupéfiante.
La bipolarité de Camille, des origines mystérieuses
Georges lui fait cette promesse, lors de leur mariage improvisé au début du film, "d'aimer et chérir toutes celles qu'elle sera". Une séquence d'autant plus belle qu'elle résonne avec l'issue tragique d'En attendant Bojangles. Déterminé à rendre Camille heureuse, à jouer à tous les jeux qu'elle propose pour noyer sa profonde et indéracinable tristesse, il se retrouve néanmoins progressivement impuissant à mesure que la folie la gagne.
Le film n'explique pas pourquoi Camille souffre ainsi de ce trouble bipolaire, mais des indices sont glissés ça et là, notamment par Charles, meilleur ami de Camille et Georges incarné par Grégory Gadebois. Celui-ci évoque ainsi à un moment une enfance très difficile, et la décision de Camille de vivre sa vie comme une fuite éperdue en avant. De manière élégante plane ainsi dans En attendant Bojangles le spectre de la guerre, la mort d'un parent, la solitude des individus et la laideur de l'existence, ce contre quoi Camille lutte de toutes ses forces... jusqu'à la folie.