Festival de Deauville 2024 : dans Bang Bang, un grand-père boxeur sublime la compétition

Festival de Deauville 2024 : dans Bang Bang, un grand-père boxeur sublime la compétition

Porté par un Tim Blake Nelson en état de grâce, "Bang Bang", à la fois crépusculaire et lumineux, s'inscrit dans la prestigieuse lignée des grandes tragédies personnelles américaines, digne héritier du cinéma de Paul Schrader. Un des plus beaux films de la compétition du 50e Festival de Deauville.

Bang Bang a des jambes et du punch

Il n'est pas dit que Bang Bang mette KO les autres films de la compétition du Festival de Deauville 2024. Mais ancré dans la ville de Detroit, violemment touchée par une désindustrialisation dont elle ne se remet pas, le quatrième long-métrage de Vincent Grashaw a plu au public et ne déplairait sans doute pas à Paul Schrader, avec son personnage fascinant en quête de salut et d'une forme trouble de rédemption.

Ce personnage, Bernard "Bang Bang" Rozyski (Tim Blake Nelson), est un jeune grand-père et ancien boxeur professionnel de catégorie poids plume. Vivant modestement, ses jours de gloire sont loin derrière lui, et il est aussi amer que rageur, arpentant les rues de Detroit un flingue dans la poche. Quelque chose l'obsède et il est animé d'une haine à l'égard de Darnell Washington (Glenn Plummer), ancien adversaire sur le ring devenu entrepreneur à succès et candidat à la mairie de Detroit, sans que l'on sache immédiatement pourquoi.

Lorsque sa fille, avec qui il entretient une relation conflictuelle, lui laisse son petit-fils Justin (Andrew Liner) le temps que ce dernier, sans beaucoup de repères, effectue des travaux d'intérêt général, Bernard y voit l'occasion de lui transmettre l'art de la boxe et peut-être retrouver un sens à sa vie.

Tim Blake Nelson livre une grande performance

L'acteur Tim Blake Nelson est connu pour de nombreux seconds rôles mémorables, dont plusieurs pour de grands cinéastes. Chez Steven Spielberg (Minority Report et Lincoln), chez Terrence Malick (La Ligne rouge), les frères Coen (O'Brother), Ang Lee (Un jour dans la vie de Billy Lynn) et Guillermo del Toro (Nightmare Alley), son visage si reconnaissable et son grand talent de comédien font des merveilles. Si bien qu'en 2018, lorsque les frères Coen lui confient le rôle principal de La Ballade de Buster Scruggs, Tim Blake Nelson prouve qu'il peut largement tenir un rôle-titre, et avec succès. Le cinéma indépendant va ainsi lui offrir plusieurs occasions de monter en première ligne avec notamment l'excellent western Old Henry (2021), et donc cette année Bang Bang.

Bernard "Bang Bang" Rozyski (Tim Blake Nelson) - Bang Bang
Bernard "Bang Bang" Rozyski (Tim Blake Nelson) - Bang Bang ©Bad Grey

Filmé sous toutes les coutures, le corps aminci et affûté, il dégage dans Bang Bang une intensité et une énergie rares. Décidé à réparer des erreurs de son passé, ou tout du moins à soulager la douleur d'une existence au cours tragique, il fait naître plusieurs moments très touchants avec son petit-fils, son amie fidèle Sharon (lumineuse Erica Gimpel), son ami alcoolique John (Kevin Corrigan) et irradie lors d'une soirée cocaïnée avec les nouveaux occupants de son ancienne grande et belle maison, du temps où il était une star.

Un drame familial bouleversant

À la manière de, entre autres, The Card Counter, Bang Bang offre à ce personnage-martyr de sa propre cause un affrontement final avec son adversaire de toujours, Darnell Washington, lors d'un match de boxe improvisé dans un riche salon où "Bang Bang" débarque en blouse d'hôpital. À ce moment, malheureusement un peu tardif dans la narration pour vraiment délivrer tout son potentiel, se révèle ainsi l'origine de la rage du personnage, son bouleversant désespoir et la résolution de son histoire familiale.

Mis en scène avec un réalisme cru, accroché à son formidable personnage incarné avec une grâce infinie par Tim Blake Nelson, Bang Bang raconte un drame familial très émouvant, dans lequel se lit aussi le portrait de l'Amérique de seconde zone. Celle des underdogs, des laissés pour compte, des losers magnifiques qui malgré leur triste sort jamais n'abdiquent ni ne renoncent.

Alors, peut-être qu'à l'image de Paul Schrader, très souvent sélectionné en festivals et nommé en cérémonies, mais trop rarement récompensé, Vincent Grashaw et son film repartiront du 50e Festival de Deauville les mains vides. Mais ils le feront avec la plus belle des rages au ventre, les poings serrés et les gants levés.