Claude Lelouch et Kad Merad reviennent sur la construction de Lino, personnage du film "Finalement", qu’une maladie lui fait dire tout ce qu’il pense, avec de plaisants clins d’œil aux propres œuvres du cinéaste.
Claude Lelouch et l’art de la fugue
Comme souvent dans les films de Claude Lelouch, le réel n’est jamais bien loin de la fiction. Lors de l’avant-première de Finalement à Bordeaux aux côtés de Kad Merad, le réalisateur nous expliquait avoir croisé dans la vraie vie tous les personnages de ses films, avoir entendu tous les dialogues. Et essayé pendant 60 ans, tel un reporter de sa vie, d’être « le témoin de son temps ». Dans son 51ème film, le cinéaste poursuit donc son questionnement du genre humain et des sentiments. Il offre également une profonde réflexion sur les paradoxes de notre époque un peu folle et leur impact sur la santé mentale.
J’avais envie de filmer des parfums de liberté dans un monde où il y en a de moins en moins, où la famille et le travail sont devenus des prisons, avec des réseaux sociaux où l’on ne peut plus rien dire. J’avais envie de faire le portrait d’un homme dont la maladie lui permet de retrouver sa liberté et de dire tout ce qu’il pense.
Les occasions de Lino (Kad Merad) de parler sans filtres sont nombreuses dans le film, au gré des multiples face à face, tantôt drôles, souvent provocateurs et parfois malaisants. Finalement aborde aussi judicieusement les différences de milieux sociaux par le biais des métiers des différents interlocuteurs. Ainsi un éleveur normand (François Morel), une brocanteuse (Clémentine Célarié), un chasseur (Lionel Abelanski) ou encore une écrivaine (Marianne Denicourt). Il ne sera véritablement sincère qu’avec l’agricultrice Manon (Françoise Gillard de la Comédie Française).
Malgré le comportement de Lino au cours de son errance, le spectateur reste toujours empathique envers lui. Ténor du barreau dans les affaires de mœurs, sa qualité première est de parvenir littéralement à se mettre dans la peau de ses clients pour mieux les défendre. Kad Merad a d'ailleurs aimé jouer l’avocat, « le défenseur des causes perdues, celui qui retourne un tribunal ». Claude Lelouche donne très bien à voir comment cet homme brillant, devenu un menteur professionnel, s’est perdu. Désorienté par sa maladie, victime d’hallucinations, il ne supporte plus sa vie. Tel le personnage d’Itinéraire d’un enfant gâté, il prend la fuite, mais en France cette fois-ci. Le réalisateur se joue des apparences parfois trompeuses et mêle habilement le faux au vrai.
Redécouvrir le goût de la vie et de l’amour
On retrouve dans Finalement le tourbillon habituel romantique et musical des histoires entremêlées des personnages lellouchiens, dont les rencontres ne sont jamais le fruit du hasard. Pourtant, le cinéaste estime que c’est encore le hasard qui l’a mis sur le chemin de Kad Merad, rencontre que tous deux qualifient de « cadeau et de petit miracle ». Car ce « personnage tous azimuts qui attire la sympathie et les confidences, qui peut tout mais ne veut plus rien faire » ne lui était pas destiné à l’origine. Mais aucun des acteurs à qui il l’avait proposé ne cochait toutes les cases. Et Kad Merad intègre plutôt avec bonheur la famille de cinéma Lelouch.
Claude ne connait pas son pouvoir mais tous les acteurs qui aiment son cinéma et sa liberté rêvent de tourner avec lui. C’est l’expérience des 60 ans qui me permet d’être à l’aise avec Claude et ce qu’il voulait de moi. Je suis un acteur tout terrain, je suis adaptable, je suis Quad Merad. Je voulais lui rendre cet honneur et la chance qu’il me fait, et qu’il soit content de moi.
Pour la première fois dans un long-métrage, Kad Merad a le temps d’explorer toutes les facettes de son jeu d’acteur, y compris le chant. Claude Lelouch dit même qu’il « a la voix de son pote Yves Montand et chante divinement bien ». En effet, le leitmotiv du générique de fin, en duo avec Barbara Pravi (Barbara, la fille de Léa et Lino), reste longtemps en tête.
Les clins d'œil dans Finalement
Comme toujours dans ses films, Claude Lelouch s’inspire, voire vampirise ses acteurs pour nourrir ses personnages. Et même si, en ayant comme référence Charlot, la veste du vagabond que devient Lino est celle du réalisateur, la casquette est bien celle de l’acteur.
Il faut être très disponible avec Claude, il ne faut pas se poser de questions. Il prend le sel du moment et l’humeur de l’acteur – même si elle est mauvaise, il va s’en servir - c’est un voleur.
La grande Histoire s’invite aussi à pas feutrés dans Finalement, ainsi que les questionnements religieux. Le cinéaste communique tellement son plaisir de tourner en faisant de très nombreux clins d’œil à ses précédents films, qu’on en oublie les habituels excès de sentiments et les grandes leçons de vie. Magie du cinéma, Claude Lelouch a ainsi imaginé dans Finalement que Lino était le fils de la liaison entre Françoise (Françoise Fabian) et Lino Ventura dans La Bonne Année.
On recroise aussi quelques-uns de ses fidèles acteurs, tels Elsa Zylberstein (Léa, comédienne et seconde épouse de Lino) et Sandrine Bonnaire (sa demi-sœur Sandrine), ou encore Michel Boujenah (Michel, son meilleur ami et associé à son cabinet d’avocat). Les fans de Claude Lelouch seront comblés. Et ceux qui ne connaissent pas son univers pourront le découvrir dans cette nouvelle aventure de très bonne facture. D’autant que le 52ème film est à l’ordre du jour, puisqu'une suite de Finalement est prévue, cette fois-ci écrite pour Kad Merad.
Finalement est à découvrir en salles le 13 novembre 2024. Ci dessus la bande-annonce.