Dans "Frère et soeur" d'Arnaud Desplechin, Louis et Alice nourrissent l'un envers l'autre une haine viscérale. Une haine nourrie d'absences, de jalousies, de violences symboliques, mais dont l'origine première reste très mystérieuse. Jusqu'à la fin du film, où cette origine se révèle...
Frère et soeur, l'amour et la famille selon Arnaud Desplechin
Sorti au cinéma le 20 mai 2022, dans la foulée de sa présentation au 75e Festival de Cannes, Frère et soeur est un pur Arnaud Desplechin. C'est-à-dire que le cinéaste, après son polar Roubaix, une lumière, et son adaptation de Philip Roth Tromperie, revient dans ce drame intime pleinement à la matière familiale et autobiographique qu'il affectionne tant.
Frère et soeur est le récit d'une haine viscérale entre Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard), frère et soeur qui ne se parlent plus depuis des années. Louis a eu un enfant qu'Alice a ignoré depuis sa naissance, et puis cet enfant est mort. Alice ne s'en est pas pour autant rapproché de son frère...
Alice est une actrice reconnue, qui enchaîne les succès. Louis est un écrivain qui connaît une gloire tardive, et c'est d'ailleurs à l'occasion de son premier succès que sa soeur lui déclare toute sa haine. Une haine mystérieuse, à laquelle répond celle de Louis et dont il nourrit ses romans. L'un et l'autre se haïssent, mais plus Frère et soeur se déroule, plus cette haine réciproque devient suspecte, enfouie dans un mystère dont eux seuls semblent avoir la clé.
Au deuil de l'enfant de Louis répond un autre, des années plus tard, celui de ses parents, gravement blessés dans un accident de voiture auxquels ils ne vont pas survivre. Une fois leurs parents tous deux partis, alors que le film a déjà entamé sa dernière partie, cette haine va se résoudre.
Une relation monstrueuse
À la fin de Frère et soeur, dans la maison familiale vide, Louis et Alice se retrouvent, rient, comme si d'un coup ils se pardonnaient tout. Comme revenus à l'enfance heureuse dont ils souffraient de la disparition, ils se couchent ensemble dans le même lit. Quelques minutes avant, Alice demande à Louis à quoi il pense. Il lui répond : "Je pense à toutes les années où tu m'as laissé t'aimer. Je les regrette tellement."
C'est alors que le sous-texte du film d'Arnaud Desplechin se montre, que la suggestion se fait éclatante. Pour expliquer la haine entre eux, la seule explication est l'existence d'un amour entre eux, un amour secret, interdit, refoulé puis abandonné : un amour incestueux.
Cet amour, qu'on comprend s'être sans doute concrétisé à un moment de leur adolescence, apparaît évident si l'on revient rétrospectivement à ce qu'on a vu durant Frère et soeur. Notamment au fait que Louis et Alice appellent leurs parents par leurs prénoms, qu'ils ont tous les deux une relation distante avec leur cadet, Fidèle (Benjamin Siksou). Aussi, leurs partenaires respectifs, le mari d'Alice, André (Francis Leplay), et l'épouse de Louis, Faunia (Golshifteh Farahani), ont tous deux compris que le frère et la soeur s'aimaient profondément, qu'ils avaient quelque chose à eux seuls, et qu'ils n'y pourraient jamais rien changer.
L'amour et la haine, la mort, les secrets familiaux sont des thèmes récurrents dans l'oeuvre d'Arnaud Desplechin. Avec Frère et soeur, il les saisit tous pour raconter cette relation entre Alice et Louis. Une relation impossible, dont ils peuvent ainsi enfin faire le deuil, comme libérés par celui de leurs parents.