CRITIQUE / AVIS FILM - De la mythologie "Mad Max", tout est dans "Furiosa". Mais il manque pourtant quelque chose. Sublime spectacle d'action, le film porté par une formidable Anya Taylor-Joy tourne avec une furie très satisfaisante en rond. Ce qui aurait été parfait si dans le même temps il ne cherchait pas à élargir son univers, dans une intention qui n'apparaît pas qu'artistique.
Furiosa est de retour à Cannes
On ne va, d'abord, pas bouder son plaisir. Neuf ans après le monument Mad Max : Fury Road, George Miller revient en force au Festival de Cannes 2024. Avec Furiosa, il offre un spectacle ultra-explosif et visuellement magnifique, poussant tous les curseurs d'une action qui lui est propre et inimitable : l'exercice de la course-poursuite avec des machines infernales dans un monde brûlé où la sauvagerie est la règle. Et en tant que film d'action de ce calibre de production, on n'avait pas vu mieux depuis... Mad Max : Fury Road.
Avec Anya Taylor-Joy fidèle au personnage incarné plus âgé par Charlize Theron - taiseuse et charismatique -, violente par la nécessité impérieuse de venger la mort de sa mère et la perte de son enfance, cette version enfant puis adolescente de Furiosa convainc très largement. D'autant plus belle et captivante qu'elle devient écorchée, salie, martyrisée et amputée, Anya Taylor-Joy incarne l'ange suprême de la vengeance, entièrement dédiée à retrouver et tuer le responsable de ses malheurs Dementus, seigneur de guerre en lutte contre l'autre seigneur de guerre du Wasteland, Immortan Joe (Lachy Hulme).
L'actrice fait de Furiosa un excellent film de vengeance, et enrichit la dimension mythologique du personnage qu'avait fait naître Charlize Theron. Racontant le multiple retour, au sens figuré, d'entre les morts de son personnage principal, Furiosa s'inscrit ainsi avec réussite dans le registre rare des grands drames aussi épiques qu'antiques.
Quelques calages dans un film d'action magistral
Ça fonce dans Furiosa, ça explose et ça s'entretue dans un mouvement d'accélération plutôt joyeux, à l'image des fascinants engins bricolés par George Miller et ses brillants designers, lancés à pleine vitesse dans le Wasteland. Mais cette accélération, cette adrénaline qui monte, n'est pas linéaire et est entrecoupée d'instants où les moteurs calent. Pendant ces quelques moments de pause dans la furie, Furiosa se montre bavard, trop sans doute, sur-explicitant les enjeux pourtant simples de son intrigue. Dans ces situations, Chris Hemsworth montre qu'il est doué pour le jeu dialogué et la comédie, faisant le portrait d'un Dementus haut en couleurs, mais bien trop fin et sarcastique pour vraiment inspirer la terreur brutale et tyrannique des antagonistes de la saga Mad Max.
On pourra aussi ajouter que la fibre romanesque appuyée de Furiosa évoque celle de Trois mille ans à t'attendre, que cette fibre est bien exploitée mais détone finalement trop dans l'univers Mad Max. Et que la création, à cette fin romanesque, du personnage de Praetorian Jack (Tom Burke) est louable mais malheureusement celui-ci est sous-exploité.
Cette envie d'humaniser très généreusement ces personnages n'est pas la meilleure idée de Furiosa, dans la mesure où les films Mad Max racontent une déshumanisation. En revanche, l'élargissement de son exploration du Wasteland, avec ses trois cités, La Citadelle, Gas Town et Le Moulin à balles - trois sources stratégiques d'échanges : l'eau, l'essence, et les munitions -, offre un voyage inédit et l'occasion d'un world building dont la variété ravit.
Un film qui oublie de ne penser qu'à lui
À ces endroits et sur les axes sableux qui y conduisent se déroulent des séquences d'action remarquables. Elles sont inventives et produites avec excellence, proposant des effets visuels et un design sonore magistraux. Si ces séquences n'atteignent pas les sommets de Mad Max : Fury Road, elles s'en approchent au plus près.
C'est dans cette relation constante à Fury Road, inévitable puisque Furiosa en est son préquel, que les défauts de ce nouveau film Mad Max sautent aux yeux. Alors que Fury Road était parfaitement autonome, au point d'en faire oublier quasiment le personnage principal historique de la saga Max Rockatansky, Furiosa se raccroche trop à son passé et à ses autres futurs - on y aperçoit même un très court instant le fameux Max. En effet, l'inédit de ce film est la suggestion qu'il y a plus à faire. Plus à imaginer et plus encore à se projeter vers d'autres histoires - d'où son effort de variété très sensible de world building. Une projection que ne faisait pas Fury Road, ce pourquoi il n'existait qu'en lui-même et pour lui-même et atteignait par là une perfection de cinéma.
Furiosa, banal spin-off ?
Paradoxalement, alors que l'exploitation de franchises n'a plus tellement la cote à Hollywood, Furiosa paraît ouvrir la voie à d'autres productions. Et, à mesure qu'il se déroule, apparaît presque comme une production-test de transition. Une production certes très aboutie, mais sans l'autonomie et la radicalité d'intention des précédents films Mad Max. Une saga d'un cinéma de pure contre-culture, unique, que Furiosa ferait ainsi paradoxalement rentrer dans le rang.
Sans mettre à un même niveau leurs qualités respectives, il y a dans le titre Furiosa : A Mad Max Saga un air de celui de Rogue One ou de Han Solo : A Star Wars Story. Comme si, après Mad Max : Fury Road que l'histoire consacre déjà comme central dans la saga - et son meilleur opus-, Furiosa se contentait lui d'assumer un statut de spin-off presque conventionnel. On pourra ainsi toujours continuer à voir uniquement Fury Road pour une expérience Mad Max totale, ce qu'on ne pourra malheureusement pas faire avec Furiosa.
Furiosa de George Miller, en salles le 22 mai 2024, présenté hors compétition au Festival de Cannes 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.