Une enquête publiée par Mediapart, nourrie des témoignages de treize femmes, révèle des agressions et violences sexuelles qui auraient été perpétrées par l'acteur Gérard Depardieu entre 2004 et 2022, concernant au moins onze tournages sur lesquels l'acteur de "Tenue de soirée" était présent.
Gérard Depardieu, une affaire française
Le média indépendant Mediapart, à qui l'on doit plusieurs investigations et révélations majeures depuis sa création en 2008, a publié le 11 avril 2023 un article synthétisant plusieurs mois d'enquête sur les violences sexuelles dont est accusé par 13 femmes Gérard Depardieu. Une véritable bombe médiatique, qui fait écho à une première affaire judiciaire. L'acteur est en effet sous le coup d'une mise en examen depuis décembre 2020, suite au dépôt d'une plainte pour viols par la comédienne Charlotte Arnould. Celle-ci, alors âgée de 22 ans à l'époque, dénonce des faits survenus à deux reprises en août 2018 au domicile parisien de l'interprète de Cyrano de Bergerac. C'est, à ce jour, la seule procédure judiciaire en cours le concernant.
Mais comme le révèle donc Mediapart, d'autres femmes ont depuis apporté leurs témoignages, racontant des agressions et des violences sexuelles sur une période comprise entre 2004 et 2022, et concernant au moins 11 films durant la production desquels le comportement de Gérard Depardieu a été perçu et jugé problématique. Une situation de laquelle, en plus de la dénonciation du comportement de l'acteur, émerge autant, si ce n'est plus, la dénonciation d'un milieu complaisant à son égard.
Des attouchements et des injures à caractère sexuel
Des treize témoignages recueillis, trois ont été transmis à la justice, mais aucune nouvelle plainte n'a été déposée. Ces récits font tous état de la même situation, d'une même scène. Celle "d'une main dans leur culotte, à leur entrejambe, à leurs fesses ou bien sur leur poitrine ; des propos sexuels obscènes ; parfois des grognements insistants". C'est ainsi le cas d'une figurante étrangère, Lyla (le prénom a été changé, ndlr), qui a raconté un incident survenu durant le tournage de Big House de Jean-Emmanuel Godart.
Sans prévenir, Gérard Depardieu a mis sa main sous ma robe, j’ai senti ses doigts essayer de se faufiler pour atteindre ma culotte.
Elle déclare avoir repoussé sa main, sans succès.
Il a continué, il est devenu agressif, il a essayé d’écarter ma culotte et de me doigter : j’ai compris qu’il ne jouait pas son personnage. Si je ne l’avais pas arrêté, il aurait réussi.
Autre témoignage, celui de la comédienne Hélène Darras, alors figurante sur le tournage de Disco de Fabien Onteniente, en 2008. Celle-ci dénonce "la main baladeuse" de Gérard Depardieu, son insistance pour qu'elle monte dans sa loge, et le fait qu'il lui ait mis "la main aux fesses de manière appuyée". Suite au dépôt de plainte de Charlotte Arnould en 2018, Hélène Darras a apporté son témoignage à la police en 2022.
Je me suis dit que je ne pouvais pas la laisser seule. Le milieu du cinéma est rempli de Gérard, il faut parler.
"Bah quoi, je pensais que tu voulais réussir dans le cinéma ?"
D'un tournage à l'autre, d'un témoignage à l'autre, un même mode opératoire se révèle, les mêmes mots sont prononcés. Ainsi, la figurante Graziella Jullian raconte : "Quand il arrivait sur le tournage, il disait : "Ça sent la chatte ici !"". Une attitude aussi dénoncée hors des plateaux, comme le relate Élisa, la fille d'une connaissance de l'acteur.
Il ne me parlait que de sexe, de ce qu'il aimerait faire à telle ou telle femme. À la vue d'une femme, il grognait souvent comme un animal, la dévisageait, disait : "Regarde-moi celle-là", "grosse cochonne", "salope". Il enchaînait les "blagues" sexistes.
Une attitude dont la jeune comédienne Sarah Brooks a aussi fait les frais sur le tournage de la série Marseille en 2015. Une première expérience de cinéma pour elle, marquée par des attouchements de Gérard Depardieu. Selon son récit, celui-ci aurait profité d'une photo de groupe pour mettre la main dans son mini-short. Elle aurait retiré sa main, mais lui aurait insisté, passant la main dans sa culotte en essayant "de lui toucher les fesses".
Je lui enlève une deuxième fois et je dis tout fort : "Il y a Gégé qui met sa main dans mon short". Il a répondu : "Bah quoi, je pensais que tu voulais réussir dans le cinéma ?" Tout le monde a ri, du coup il a continué. J'étais super mal, c'était hyper humiliant.
De multiples autres témoignages, similaires, ont été recueillis par Mediapart et la journaliste Marine Turchi. Les points communs de ces témoignages d'agressions sont nombreux, et parmi ces similitudes, il y a notamment le fait que ces femmes se disent tout autant marquées par l'agression en elle-même que, si ce n'est même plus, par l'absence de réaction des équipes de tournage présentes au moment des faits dénoncés. Et, en conséquence, de l'impunité accordée de facto à Gérard Depardieu.
Une impunité dénoncée
Considéré comme le "plus grand comédien français", véritable monstre de cinéma, titulaire d'une filmographie forte de plus de deux cent films, ami de dictateurs, richissime homme d'affaires... Gérard Depardieu est de ceux qui font la pluie et le beau temps dans l'industrie du cinéma français, et son pouvoir y est très réel. S'il a de son côté profité de son statut et de l'asymétrie de la situation, au moment d'interagir avec de jeunes femmes comédiennes, figurantes, techniciennes, ces dernières dénoncent avec force l'apathie des témoins, les rires, le passage sous silence. Ainsi Camille G., qui officiait en tant qu'auxiliaire de régie en 2020 sur le tournage de Maison de retraite :
Ce que j'ai mal vécu, c'est l'omerta, le silence autour de tout cela. On se sent très seule.
Elle a raconté à Mediapart avoir été "coincée dans un couloir", et que celui-ci lui aurait parlé des "petits, longs ou gros sexes qui avaient dû passer dans sa bouche", de la "sensualité de ses petits seins fermes et doux" et de "son envie de se frotter à sa petite chatte humide". Un comportement dont la régisseuse s'est plaint et qui l'a poussée à demander à ce qu'on la remplace. Une demande à laquelle la production n'a pas accédée. Une journaliste de 50mn Inside, présente sur le tournage, a ainsi confirmé avoir été témoin d'une de ces scènes, et s'est déclarée "choquée" par les réactions de l'équipe.
Toute la journée, je n'ai fait qu'entendre "C'est Gérard"...
"Les gens ont peur"
Pour beaucoup, Gérard Depardieu est intouchable. C'est ce qu'a déclaré une directrice de casting, estimant que "les gens ont peur" et affirmant : "Le cinéma est un monde qui a le culte du secret et donc du silence, ce n’est pas du tout naturel de dénoncer ce type de comportement, on doit toujours se taire, il y a beaucoup d’autocensure".
Comme le souligne Marine Turchi, vingt réalisateurs et producteurs ont été sollicités, et neuf n'ont pas répondu. Dix ont affirmé n'avoir rien vu ou su de ces comportements, et seul Fabien Onteniente a pris position, après un incident sur son film Turf, rapporté par deux figurantes :
L’une était en pleurs et se plaignait de mains aux fesses. Voir le visage d’une fille qui était pleine d’espoir et venait faire de la figuration, ça m’a ému et mis hors de moi. Donc je suis allé engueuler Depardieu, j’ai monté le volume, je lui ai dit “tu ne recommences pas ça, c’est fini ! Tu te comportes bien”, et ça s’est arrêté net. Il était tout penaud, comme un enfant qui aurait fait une bêtise.
En plus de son comportement envers les femmes, les prises de position de Gérard Depardieu sur la Russie et Poutine ont convaincu le réalisateur de la saga Camping de cesser toute collaboration avec l'acteur.
J’ai une image trop abîmée de lui maintenant, il est un peu devenu la caricature de lui-même, il est sorti de la poésie qu’il pouvait représenter. Tourner est une chose merveilleuse, qui ne doit pas être accompagnée de pleurs et de drames.