La nouvelle formule des Oscars ne fait pas que des heureux. En voulant rendre la cérémonie plus digeste pour les téléspectateurs, l'Académie est en train de se mettre à dos des grands artistes comme Guillermo Del Toro et Alfonso Cuarón, ainsi que certains directeurs de la photographie.
En voulant faire un show populaire agréable à regarder, et ainsi rameuter les téléspectateurs perdus ces dernières années, l'Académie n'en oublierait-elle pas l'essentiel ? Pour endiguer la baisse des audiences, plusieurs mesures seront adoptées lors de la 91ème édition. On passera sous silence la partie concert qui convoquera les nommés de la catégorie "Meilleure chanson" pour évoquer les prix remis pendant les pauses publicitaires.
À son annonce, cette décision avait déjà beaucoup fait parler. L'Académie souhaitait que des prix techniques soient attribués durant les pauses et qu'un bref résumé soit fait aux téléspectateurs lors du retour au direct. Une pratique pas des plus respectueuses pour les artistes concernés et qui met en avant uniquement les grands noms, le glamour. John Bailey, président de l'Académie, a provoqué la stupeur de l'industrie en déclarant que la meilleure photographie, le meilleur montage, le maquillage/coiffure et le court-métrage live sont les prix choisis pour être calés pendant les pauses publicitaires.
Une décision qui ne passe pas pour Guillermo Del Toro. Le réalisateur mexicain, qui a tout raflé l'année dernière avec La Forme de l'eau, a exprimé tout son désaccord sur Twitter :
Je ne veux pas prétendre suggérer quelles catégories doivent atterrir durant les pubs lors de la soirée des Oscars, mais, s'il vous plaît : la photographie et le montage sont le cœur de notre artisanat. Ils ne sont pas hérités d'une tradition théâtrale ou littéraire : ils sont le cinéma lui-même.
Il a rapidement été rejoint par son compatriote Alfonso Cuarón, pourtant en course dans plusieurs catégories avec son film Roma, tandis qu'un #boycottoscars est apparu sur Twitter.
C'est ensuite les directeurs de la photographie qui se sont insurgés, voyant ce choix comme un affront à leur art. Le grand Emmanuel Lubezki, trois fois victorieux dans cette catégorie avec Gravity, Birdman, et The Revenant, ne comprend pas ce qui se passe, pendant que Steve Yedlin (Star Wars - Les derniers Jedi) résume sur son Twitter la situation avec clairvoyance :
Cette émission de télé, dont le but est d'emballer l'art du cinéma comme un produit de consommation, te dit que la célébration de l'art du cinéma est trop ennuyeux comme produit de consommation.
La photographie et le montage sont deux composants inhérents au cinéma. À partir du moment où un film comporte plus d'un plan, il y a une réflexion sur le montage. Dès que l'on allume la caméra pour capter un plan, il est question de photographie. On ne peut que regretter que les Oscars délaissent ces domaines qui, en plus, ne sont pas que techniques mais aussi grandement artistiques.
Forcément, vendre des Emmanuel Lubezki ou des Roger Deakins, c'est moins clinquant. Alors que les catégories principales accueillent des grandes stars souvent reconnues par le public. Sauf que l'Académie cède à la facilité. Au lieu d'éduquer les gens, de rendre digeste la présence d'immenses artistes dans leur domaine, elle préfère les cacher. On peut aussi se demander pourquoi (sans manquer de respect aux concernés) le "Meilleur montage sonore" ou le "Meilleure mixage sonore" seront remis normalement, alors qu'ils avaient la tête de l'emploi pour terminer pendant les publicités ? La présence dans ces catégories de films comme Black Panther, A Star is Born ou Sans un bruit doit pouvoir expliquer cela. Cette édition oriente, par facilité, son contenu vers les gros titres.
La soirée des Oscars se déroulera le 24 février prochain à Los Angeles.