Au terme du récit de la chute de Lucien de Rubempré dans son grandiose "Illusions perdues", Xavier Giannoli offre une conclusion qui peut semer le doute dans l'esprit du public. Retour sur la fin et le destin du personnage.
La grande oeuvre de Xavier Giannoli
En octobre 2021, après sa sélection en compétition à la Mostra de Venise, Illusions perdues arrive dans les salles françaises. Xavier Giannoli adapte avec un formidable casting et des moyens très conséquents le roman d'Honoré de Balzac, un des plus longs de La Comédie humaine, et raconte l'ascension et la chute de Lucien Chardon (Benjamin Voisin), jeune poète idéaliste d'Angoulême qui rêve de gloire littéraire, au début du 19e siècle.
D'Angoulême à Paris, de salons intellectuels en salles de rédaction, Lucien Chardon veut se faire un nom - celui de Lucien de Rubempré, en rachetant le titre de noblesse de sa mère - et accéder à la "haute". Arrivé à Paris en compagnie de Louise de Bargeton (Cécile de France) en 1819, une notable d'Angoulême qui a ses entrées et avec qui il entretient une relation, Lucien va vite se retrouver seul, en échec et humilié par la haute société parisienne.
Après un temps bref où il sombre dans la misère, il va être aidé par Etienne Lousteau (Vincent Lacoste), un journaliste et éditeur douteux. Il va alors entrer dans le milieu qui fait et défait les opinions, connaître une gloire fulgurante, se fiancer à une comédienne, Coralie (Salomé Dewaels), et mener la grande vie en abandonnant ses idéaux pour devenir cynique et arrogant. Sa chute n'en est que plus dure.
Après avoir été humiliée lors d'une représentation, par rancune personnelle et pour atteindre Lucien, Coralie tombe malade. Ce dernier, piégé par ses anciens amis devenus ses ennemis, sa réputation salie et sans relations, complètement ruiné, perd ainsi tout lorsque Coralie meurt en septembre 1822.
La tragédie de La Comédie humaine
Après l'enterrement dans une fosse de commune de Coralie, Lucien a un bref échange avec Nathan d'Anastazio (Xavier Dolan), écrivain à succès - et voix off de ce récit -, qui lui fait comprendre qu'il est maintenant revenu de ses "illusions perdues", qu'il est redevenu lui-même, un jeune écrivain idéaliste qui a perdu au jeu cynique et hypocrite auquel il a joué.
Les derniers plans d'Illusions perdues montrent ensuite Lucien traversant un champ et une forêt sous le soleil, avant d'entrer nu dans un lac. La voix-off conclut :
Ce lac, il le connaissait depuis son enfance. En entrant dans l'eau glacée, il ne savait pas s'il voulait se purifier, ou mourir. Il resta là un moment. Il allait cesser d'espérer, et commencer à vivre.
Le film se termine sur le visage de Lucien, face à la caméra, tremblant et couvert de larmes.
Lucien de Rubempré meurt-il à la fin du film ?
Xavier Giannoli a réussi un grand travail d'adaptation d'Illusions perdues, avec une prise de liberté nécessaire pour donner une fin à son histoire de Lucien. En effet, dans la troisième partie roman de Balzac, après la mort de Coralie, Lucien retourne à Angoulême et se retrouve pris dans une affaire légale et financière où son beau-frère se retrouve impliqué par sa faute. Rongé par les remords, Lucien décide de se suicider et part alors pour se noyer.
Mais sur le chemin, il fait la rencontre d'un homme espagnol intrigant qui se dit abbé et diplomate. Celui-ci lui propose de lui offrir tout ce dont il a besoin et tout ce dont il rêve, si Lucien lui obéit. Lucien renonce alors à se suicider. Cette autre histoire qui commence est celle du second roman où apparaît Lucien de Rubempré : Splendeurs et misères des courtisanes, qui couvre sa vie de fin 1823 à 1830.
Xavier Giannoli a ainsi offert une conclusion originale à son Illusions perdues, en ne racontant pas la dernière partie du livre de Balzac - celle du retour à Angoulême - mais en utilisant tout de même sa fin, c'est-à-dire le moment où Lucien se rend au lac pour se noyer. Seulement, il met en scène une fin où Lucien ne croise pas l'abbé espagnol et suggèrerait donc, a priori, qu'il va au bout de sa tentative.
Une fin ouverte
Alors, peut-on se fier à la suggestion du cinéaste, qui garde par ailleurs une fidélité au personnage de Balzac puisque Lucien se pend en 1830 dans sa cellule de prison, à la fin de Splendeurs et misères des courtisanes ? Ou alors, faut-il croire que, comme l'énonce Nathan en voix-off, Lucien va peut-être se "purifier, cesser d'espérer et commencer à vivre", et ainsi refaire sa vie ?
C'est ainsi à chaque spectateur, devant ce destin brillamment écrit par Xavier Giannoli ainsi qu'intensément incarné par Benjamin Voisin, et devant ce dernier plan, de décider ce qu'il advient de ce personnage tragique.