Immoralité, envie de cinéma et de morts : Franck Dubosc se lâche dans Un ours dans le Jura

Immoralité, envie de cinéma et de morts : Franck Dubosc se lâche dans Un ours dans le Jura

Pour son troisième long-métrage en tant que réalisateur, Franck Dubosc livre une comédie noire très réussie, porté par un casting brillant, avec "Un ours dans le Jura". Un polar violent et enneigé surprenant, où l'acteur de "Camping" se révèle metteur en scène d'action, scénariste immoral et plus que jamais nourri du désir de "faire du cinéma". On l'a rencontré.

Franck Dubosc, le noir lui va très bien

À l’heure actuelle, les algorithmes le définissent encore comme "humoriste et acteur de cinéma français". Tout à fait vrai, mais un titre de plus en plus réducteur. Sans, pour autant, que cette réduction soit péjorative. Auteur et interprète de spectacles à succès, acteur principal de comédies populaires multi-millionnaires au box-office, Franck Dubosc s’est construit une grande carrière sur les planches et devant la caméra. Et s’il ne devait être "que" ses yeux infiniment bleus, ou bien cet humour à la fois naïf, grivois, et par fulgurances mélancolique, ou alors ce slip de la trilogie Camping, ce serait déjà beaucoup.

Figure incontournable de la comédie, incarnation familière d’une France moyenne plus douce qu’acide - au coût parfois de la caricature du fanfaron tendance "beauf", Franck Dubosc aurait pu à 61 ans poursuivre cette même ligne droite. Il ne serait pas le seul : beaucoup des acteurs de sa génération ne bifurquent pas ou plus, choisissant à cet âge charnière pour les interprètes masculins de rentabiliser au maximum un capital bien installé dans le paysage audiovisuel et le portefeuille du public.

Un ours dans le Jura
Un ours dans le Jura ©Gaumont

Mais ce serait oublier que Franck Dubosc est profondément un auteur et un amoureux du cinéma. Du grand écran, là où il a débuté en 1985 dans À nous les garçons puis en 1986 dans Justice de flic. Il s'en éloigne pour l’écriture de succès télévisés, incarnant au passage avec Elie Semoun au format VHS des personnages iconiques de l’humour des années 90. Une réussite qui lui rouvre les portes du cinéma en 1998, avant que, devenu très populaire avec son spectacle J’vous ai pas raconté ?, il y trouve un rôle majeur dans Camping en 2006, grand succès au box-office dont il est le co-auteur. Les dix ans qui suivent en font alors un pilier de la comédie française.

Après le sable et le soleil...

Acteur et co-auteur pour d’autres, on peut ainsi s’étonner que Franck Dubosc ne se soit pas plus tôt tourné vers la réalisation. Tout le monde debout, son premier essai en 2018, est un succès commercial qui surprend par la délicatesse avec laquelle il aborde le sujet de l’amour et du handicap. En 2022, pour un échec en salles mais une presse critique qui reste agréablement curieuse, c’est avec une amertume séduisante qu’il s'incline vers une comédie plus dramatique qu'il n'y paraît, Rumba la vie.

Délicat, puis mélancolique, Franck Dubosc accentue alors le virage et y accélère, s’arrachant avec sa troisième réalisation de l’image qu’il formulait lui-même, jouant son propre rôle dans la série Dix pour cent en 2020 : "Et moi je suis quoi (pour son jeune partenaire de jeu, ndlr) ? Bah je suis un gros ringard qui fait des slips en moule-bite". Aujourd'hui, avec Un ours dans le Jura, Franck Dubosc se présente ainsi à sa sortie de virage, aux commandes d'une comédie délicieusement noire et surprenante, où il confirme une mue non seulement réussie mais aussi spectaculaire.

... la neige et la noirceur

Michel et Cathy, un couple usé par le temps et les difficultés financières, ne se parle plus vraiment. Jusqu’au jour où Michel, pour éviter un ours sur la route, heurte une voiture et tue les deux occupants. 2 morts et 2 millions en billets usagés dans le coffre, forcément, ça donne envie de se reparler. Et surtout de se taire.

Sorti le 1er janvier 2025, à l’heure où ces lignes sont lues Un ours dans le Jura a déjà dépassé les 100 000 entrées, porté par un bouche-à-oreille efficace et une critique majoritairement très séduite. Le mérite en revient à un casting idéal, où Laure Calamy et Benoît Poelvoorde rayonnent, accompagnés de rôles secondaires impeccablement tenus par Joséphine de Meaux, Kim Higelin et Emmanuelle Devos. À une intrigue haletante aussi, écrite avec le soin d'une générosité de cinéma, où Franck Dubosc se donne un faux rôle principal, en retrait dans le portrait d’un mari et père effacé, hésitant, acteur malgré lui mais surtout témoin d’un engrenage aussi effrayant qu’hilarant. Et surtout, à une envie de se faire plaisir pour son auteur.

Rencontre

Votre précédent film, Rumba la vie, avait surpris par des éclats inattendus de noirceur et comme son pas de côté par rapport à la ligne que vous teniez jusque-là. Avec Un ours dans le Jura, il y a une rupture de ton encore plus franche. Quelle était votre envie avec ce film ?

Franck Dubosc : J’avais écrit un 3e film. Enfin, un autre 3e film. Et je ronronnais un peu. C’était une jolie histoire, et j’étais content. Mais en terminant le scénario, je me suis dit : "Et alors ? Qu’est-ce que je dis de plus que ce que j’ai déjà pu dire ?". Une comédie romantique, des belles scènes… En fait, je n’étais pas content, et j’ai donc cherché à a me secouer. J’ai alors pensé à prendre un co-auteur et j’ai rencontré Sarah Kaminsky, pour un autre film qu’elle devait écrire, et puis je me suis dit que j'avais envie d’autre chose. Que j’avais envie de cinéma. J’ai eu envie de faire un film de cinéma, avec des morts, de l’amour, de la comédie toujours…

Mais je n’ai pas pensé : "Je veux faire une comédie noire". Si j’avais d’abord pensé ça, je pense que je me serais planté, parce qu’en réalité je ne connais pas bien les codes de ce genre. C’est à ma manière, après on dira peut-être que ça ressemble à untel ou que c’est à chier, mais en tout cas ce sera mon propre style.

Comment en êtes-vous arrivé précisément à cette intrigue ?

Franck Dubosc : J’ai raconté à Sarah mes envies. Je voyais de l’argent dans une voiture, un accident, des trafiquants de drogue, j’avais une ligne à raconter mais pas beaucoup plus. Elle m’a dit : "allez je pars avec toi". Mon envie n’était pas de surprendre, ni vraiment de changer de style, mais c'était de ne pas ronronner. De faire du cinéma et de me faire plaisir, à moi. Penser à ce que moi je voulais voir en tant que spectateur. Je n’avais pas particulièrement la notion de comédie noire en tête, ou la référence aux frères Coen. Tout ça est venu après.

La référence aux frères Coen revient en effet très souvent dans les commentaires autour du film. Si c'est venu après vos premières idées, ça ne vous était pas néanmoins inconnu ?

Franck Dubosc : Je connaissais évidemment, et je l’avais indiqué à Sarah. Ce genre d’univers. Mais par exemple je n’ai découvert qu’Un plan simple après, lorsqu'un ami me l’a recommandé après avoir lu le scénario d’Un ours dans le Jura. J’aime ces univers-là, j’aime les films américains, mais je ne voulais surtout pas faire un film "dans le genre de", c’est pas le Fargo "à la française".

J’ai horreur de ça, quand je vois un film annoncé comme tel film américain mais "à la française". En gros ça veut dire "en moins bien". Non, je voulais un vrai film français, comme les films policiers que je regardais quand j’étais gosse, avec des histoires qui ne m’arrivent pas à moi. Et puis, si on cite "Fargo", c’est surtout parce qu’il y a de la neige, des gens simples et des gendarmes.

Un ours dans le Jura
Un ours dans le Jura ©Gaumont

Vous confiez les rôles principaux d'Un ours dans le Jura à Laure Calamy et Benoît Poelvoorde, avec qui c'est une première collaboration. Avez-vous écrit les personnages de Cathy et Roland pour eux ?

Franck Dubosc : J’ai écrit sans penser à des acteurs parce que, parfois ça peut marcher, mais ça réduit aussi les personnages. On pense à untel qui serait très bien dans cette situation, mais moins bien dans une autre… Donc ce n’est qu’une fois le scénario fini qu’on a pensé, très vite, à Laure Calamy et Benoît Poelvoorde. Je voulais pour le casting des gens qui ne font pas forcément de la comédie. Ou, tout du moins, qui ne sont pas dans ma famille d’acteurs. Sauf un seul, Christophe Canard, qui joue le curé.

D’ailleurs, je l’ai appelé en lui disant "je ne veux pas que tu sois dans mon film, parce que je veux changer d’acteurs. Mais pour me montrer que tu seras pas dans mon film, tu vas faire les essais." Il a joué le jeu, il a fait les essais et, mais je m’en doutais, je lui ai donné le rôle. Je lui avais dit : "fais les essais pour que je sois sûr que c’est pas toi". Et bon, c’était lui.

C'est l'exception qui confirme la règle, celle où vous changez radicalement de repères ?

Franck Dubosc : Je voulais changer d’univers de films, mais aussi de gens. Je n’ai pas changé beaucoup de mes techniciens, mais j’ai changé par exemple de monteur, par la force des choses. J’ai travaillé avec une monteuse qui a fait des films d’action (Audrey Simonaud, récemment et notamment au montage de Voleuses, ndlr), et ça m’allait très bien parce que j’avais beaucoup de gens de cinéma autour de moi.

Même les chaînes qui ont suivi, ce n’est pas TF1 cette fois-ci, mais France Télévisions. Netflix a mis aussi quelque chose, et leur première question a été : "qui fait les cascades ?". J’avais d’un coup tout un environnement qui faisait que, quoi qu’il arrive, le film allait être différent.

Ce qui fait la différence, c'est aussi cette immoralité "ludique", justement à la manière des frères Coen, de quasiment tous les personnages du film.

Franck Dubosc : Aller vers l’immoralité, ça me plaît. Je suis quelqu'un d'honnête, je ne suis pas immoral, alors voir des gens au cinéma qui font des choses que je ne ferais pas… Je n’ai pas l'idée ou le courage de faire ce qu’ils font, ça me va très bien d’en être spectateur. Et ça me plairait bien qu’ils le soient encore plus, dans l’immoralité ! Mais comme je veux quand même qu’on aime mes personnages, je les arrête là où il faut. J’aime bien que tout le monde soit un petit peu, pas pourri, mais… on a tous ce petit truc.

Un ours dans le Jura
Un ours dans le Jura ©Gaumont

À cet égard, est-ce que votre personnage, qui n'est pas le plus volontaire dans l'intrigue, vous ressemble ?

Franck Dubosc : Il est effacé, pour plusieurs raisons. Il me ressemble, parce que je serais sûrement celui qui se laisse tenter en disant "oh non, faut pas faire ça", celui qui fait la bêtise de dépenser l’argent là où il ne faut pas. Mais j’ai choisi cet effacement parce que je réalise le film. Il vaut mieux laisser jouer les autres, c’est plus facile pour la réalisation. En écrivant, je savais que je voulais que ce ne soit pas trop compliqué pour moi.

Est-ce qu'avec ce nouveau film, c'est un autre chapitre qui s'ouvre, ou peut-être une envie inédite qui se révèle ?

Franck Dubosc : Ce que je sais, aujourd’hui, c'est que si je fais le film que j’ai écrit avant Un ours dans le Jura, je ne vais pas le faire de la même manière. Ça me donne un petit plus de confiance en moi. Un ours dans le Jura marchera ou il ne marchera pas, ça on ne le décide pas. Mais il est certain que j’ai fait le film que je voulais faire, avec les difficultés que ça a impliqué, et je sais maintenant que quand j’écris telle ou telle scène, je sais que je peux aller plus loin que ce que j’avais d'abord pensé. Même si c’est un film tout simple, deux personnages dans une pièce… Je sais que je peux me faire un peu plus confiance, je pense que j’ai gagné ça.