Avec "Intolérable cruauté", les frères Coen s’essaient à la comédie romantique sur fond de problèmes matrimoniaux, aidé par un duo en or formé par Catherine Zeta-Jones et George Clooney. Les réalisateurs profitent également de ce vaudeville burlesque et féroce pour clamer leur admiration à David Lynch et "Mulholland Drive", à travers un clin d'oeil savoureux.
Intolérable cruauté : l’amour selon les frères Coen
Sorti en 2003, Intolérable cruauté marque un changement de registre pour les frères Coen. Après le polar en noir et blanc The Barber : l’homme qui n’était pas là, les réalisateurs s’aventurent pour la première fois du côté de la comédie romantique. Mais comme le promettait l’affiche, le long-métrage ne manque pas de férocité et propose un affrontement jubilatoire entre Catherine Zeta-Jones et George Clooney.
La première prête ses traits à Marilyn Rexroth, une habitante des quartiers huppés de Los Angeles déterminée à faire payer son mari infidèle pendant leur divorce, afin d’obtenir sa liberté et son indépendance financière. Le deuxième incarne Miles Massey, un avocat obsédé par la blancheur de ses dents et chargé de défendre ledit époux pris en flagrant délit de tromperie. Mais Miles est très vite perturbé par Marilyn, dont il tombe amoureux tout en l’accablant lors du procès. Entre eux débute un jeu de séduction et de manipulation au cours duquel les sentiments sont relayés au second plan.
Une scène d’introduction empruntée à David Lynch
Véritable screwball comedy dans la lignée de celles de Preston Sturges et Howard Hawks, Intolérable cruauté doit beaucoup à ses acteurs. Dans le rôle du "meilleur" avocat spécialisé dans le mariage et le divorce, George Clooney rappelle qu’il ne joue jamais aussi bien les idiots prétentieux que chez les frères Coen.
Catherine Zeta-Jones est quant à elle impériale dans le rôle de Marilyn, personnage qui enchaîne les sous-entendus hilarants et laisse les hommes autour d'elle hurler avec un sourire malicieux. Le long-métrage repose également sur le sens du burlesque des réalisateurs, extrêmement doués pour le vaudeville.
Cela se ressent dès l’introduction, où ils s’amusent d’emblée avec une situation rocambolesque dont ils ont le secret. Dans cette dernière, un producteur australien incarné par Geoffrey Rush rentre à son domicile en fredonnant fièrement The Boxer de Simon & Garfunkel, avant de découvrir la camionnette d’un réparateur prénommé Ollie garée devant sa porte.
Lorsqu’il passe le perron, il entend des mouvements hâtifs venant de sa chambre à coucher. C’est alors que son épouse (Stacey Travis), visiblement prise de court et décoiffée, lui explique que le technicien est venu prospecter pour lui vendre du matériel de piscine. Le producteur se demande alors en quoi un bloc filtrant et une pompe à chaleur leur seraient utiles, étant donné qu’ils n’ont pas de piscine. S’ensuit un pétage de plombs mémorable où Geoffrey Rush prend un malin plaisir à cabotiner.
Cette séquence est similaire en de nombreux points avec une scène de Mulholland Drive. On y voit le réalisateur incarné par Justin Theroux rentrer chez lui dans une décapotable ressemblante et tenter de se rebeller après avoir surpris sa femme (Lori Heuring) dans le lit conjugal avec un autre réparateur, incarné par Billy Ray Cyrus. La finalité de la situation n’est néanmoins pas la même, puisque le cinéaste est loin d’être aussi hystérique que le producteur d’Intolérable cruauté. À noter que les deux films sont également marqués par la présence d’un tueur à gages particulièrement limité. Le clin d’œil des frères Coen à David Lynch prouve qu’il est possible de s’intéresser à l’opulence et au ridicule d’une partie de l’industrie hollywoodienne, de manière radicalement différente mais complémentaire.