Alors que l'immense Sean Connery vient de nous quitter, retour sur son septième James Bond, le très apprécié mais non-officiel "Jamais plus jamais", sorti en 1983. Alors que Roger Moore tenait le rôle depuis 1973, Sean Connery y reprend son matricule 007 pour un remake de "Opération Tonnerre", et qui n'appartient pas à la saga.
Mourir peut attendre est bien le 25ème James Bond, mais en réalité il est la 27ème production cinématographique incluant le personnage de James Bond. Quels sont donc les deux autres qu'on ne comptabilise pas dans la franchise ? Le premier est un film parodique, Casino Royale, réalisé par John Huston et sorti en 1967. Jamais plus jamais est le second, sorti en 1983, avec Sean Connery dans le rôle de 007, et qui n'a rien de parodique. On se penche sur ce film hors franchise mais néanmoins très apprécié des fans de l'agent secret.
Jamais plus jamais, une histoire peu commune
En 1983 sort Jamais plus jamais, alors que cette même année sort aussi Octopussy, 13ème épisode de la série de films produite par EON Productions, avec Roger Moore dans le costume de 007. On pensait que Sean Connery avait définitivement rangé smokings et vodka-martini au placard, et le voici qu'il reprend son rôle, dans un remake très fidèle d'Opération Tonnerre, sorti en 1965 et considéré comme son film James Bond le plus performant. Si l'on se place du côté de Harry Saltzman et la famille Broccoli, ultra-protecteurs de la franchise, Jamais plus jamais, produit par Taliafilms et Warner Bros, apparaît donc comme une anomalie. Que s'est-il passé ?
Il faut remonter à 1958 pour trouver l'origine de cette anomalie. Cette année-là, l'auteur des romans James Bond, Ian Fleming, travaille à une série de scripts pour le cinéma avec d'autres auteurs. Parmi ceux-là, on trouve Kevin McClory, alors assistant réalisateur et producteur. Ensemble, ils jettent sur le papier des idées, dont celles d'Opération Tonnerre. Ces avant-projets patinent et Ian Fleming décide d'en sortir un roman, Opération Tonnerre donc, publié en 1961, mais sans aucune mention de ses collaborateurs principaux, Kevin McClory et Jack Whittingham.
S'ensuit un procès que les plaignants gagnent, et qui repousse la production du film Opération Tonnerre de plusieurs années, alors qu'il devait être la première adaptation cinématographique - ce sera ainsi James Bond contre Dr. No qui ouvrira la franchise en 1962. La famille Broccoli et EON productions passent un accord avec McClory, qui est crédité producteur du film de 1965 et bénéficiaire de 20% des profits du film, à la condition de ne pas produire de film sur le scénario d'Opération Tonnerre, dont il détient les droits, dans les dix ans qui suivent la sortie du film "officiel". Ainsi, dès 1975, Kevin McClory développe son propre projet, qui aboutira en 1983 avec Jamais plus jamais.
Pourquoi ce titre ?
Une légende existe, qui voudrait que le titre du film ait été trouvé lorsque la production du film insistait auprès de l'agent de Sean Connery pour qu'il reprenne son rôle, après donc sept films James Bond sans lui. L'acteur s'y opposait catégoriquement, et aurait donc dit à son agent, alors au téléphone avec la production : "Never ! Say never !" ("Jamais ! Dis-leur, jamais !"). Ce à quoi la production aurait répondu : "très bon titre !". La légende est drôle, mais ce n'est qu'une légende...
En réalité, ce titre fait référence au dernier Bond officiel de Sean Connery, Les Diamants sont éternels (1971), au terme duquel l'acteur écossais avait juré de ne plus jamais refaire de James Bond. C'est son épouse, Micheline Connery, qui a l'idée du titre anglophone "Never say never again", qui se traduit par "Ne plus jamais dire jamais", et affiché en France sous le titre "Jamais plus jamais", qu'on peut lire dans les deux sens. Et pour convaincre l'acteur de s'y remettre, l'argument a pris la forme d'un chèque de 5 millions de dollars, somme plus qu'astronomique à l'époque. Un titre ironique donc, pour un film lui-même ironique, mais qui a convaincu.
Un film qui a tout le meilleur de Bond
La fiche technique du film est de qualité : Sean Connery dans son rôle iconique, Irvin Kershner (Star Wars : L'Empire contre-attaque) à la réalisation, Michel Legrand à la musique, et une équipe technique dont beaucoup des membres ont bossé sur Les Aventuriers de l'arche perdue. Pour sa James Bond girl, en "remplacement" de Claudine Auger, c'est Kim Basinger dans le rôle de "Domino" qui donne la réplique à 007. Son ennemi est interprété par Klaus Maria Brandauer, en Maximilian Largo (quand il s'agit d'Emilio Largo dans Opération Tonnerre). On peut y voir pour la toute première fois au cinéma Rowan Atkinson, quand Max von Sydow joue lui Ernst Stavro Blofeld.
Sur, à peu de choses près, le même scénario qu'Opération Tonnerre, Jamais plus jamais réussit son pari avec un 007 qui joue avec finesse de son âge mûr. Tout y est : la french riviera, le milliardaire mégalomane et dangereux, les gadgets, une poursuite mémorable à moto... Très amusant, le film a aussi ses innovations, comme par exemple pour la première fois l'interprétation de Felix Leiter par un acteur afro-américain, Bernie Casey.
Une scène est devenue culte, celle de l'affrontement sur un jeu vidéo masochiste en 3D où le perdant reçoit des charges électriques croissantes. Une scène particulièrement réussie, qui raconte aussi en sous-texte le rapport complexe de James Bond à la violence et à la souffrance. D'autres séquences engageant Fatima Blush (Barbara Carrera), tueuse, bras droit de Maximilian Largo et N°12 de SPECTRE, prennent aussi le parti d'une violence décomplexée, mais minimisée par les réflexes un peu rouillés de James Bond.
Succès commercial mitigé, mais vrai succès d'estime
Avec un budget supérieur (36 millions de dollars contre 27,5), Jamais plus jamais fait moins bien qu'Octopussy lors de sa sortie (55,4 millions de dollars de recettes contre 67,9) sur le territoire américain. Avec un box-office global à 160 millions de dollars, il est néanmoins une réussite objective au regard de son budget. Malgré sa qualité sans doute supérieure, le public lui a préféré l'opus officiel avec Roger Moore, un peu à la manière de John Barry qui devait initialement composer la musique, avant d'abandonner pour travailler sur Octopussy.
Sur le plan critique, le film est à l'époque bien reçu, notant un retour de Sean Connery très convaincant, une interprétation culte de Klaus Maria Brandauer qui en fait un des meilleurs ennemis de l'univers 007, des rôles marquants pour Kim Basinger et Barbara Carrera, une réalisation bourrée de style et de malice. Marqué par l'esthétique baroque et le goût pour l'exotisme des années 80, et avec un réalisateur américain aux commandes, Jamais plus jamais vieillit paradoxalement peut-être plus vite que certains de ses prédécesseurs, et n'en a pas la classe british. Mais en plus d'être un retour réussi et presque émouvant du 007 "originel", il reste un excellent James Bond, n'en déplaise à EON Productions...