En 1968, les deux immenses stars Jean Gabin et Louis de Funès sont à l'affiche de la comédie "Le Tatoué", réalisée par Denys de La Patellière. Une collaboration qui fut tendue entre les deux acteurs.
Le face-à-face entre Jean Gabin et Louis de Funès
Comédie sortie au cinéma en 1968, Le Tatoué de Denys de La Patellière devait être la rencontre au cinéma entre les deux acteurs alors les plus populaires du cinéma français : Jean Gabin et Louis De Funès. Elle l'a été, mais un cran en-dessous des attentes, au terme d'une production contrainte par un tournage débuté sans scénario et une relation tendue entre les deux hommes.
C'est leur troisième collaboration ensemble - exception faite de Napoléon en 1995 où de Funès ne fait qu'une silhouette, après La Traversée de Paris en 1956 et Le Gentleman d'Epsom en 1962. Mais depuis cette dernière collaboration pour Gilles Grangier, Louis de Funès a pris une autre dimension. En effet, les années 60 lui ont offert une popularité exceptionnelle avec des succès comme les trois premiers Gendarmes de Saint-Tropez, la trilogie Fantômas, Le Corniaud, ou encore La Grande Vadrouille. Il est, en d'autres termes, une immense vedette. Face à lui, Jean Gabin, monstre sacré du cinéma français.
Son synopsis : Félicien Mezeray, brocanteur d'art, découvre un jour un authentique Modigliani. Autant dire que la fortune est à lui. Enfin presque... Car l'oeuvre a été tatouée sur le dos d'un ex-légionnaire bougon et colérique. Mezeray est prêt à tout pour arriver à ses fins, même à retaper la maison de campagne du légionnaire, qui s'avère être un château du 16ème siècle en ruines.
Un scénario trop inégal pour les acteurs
Le scénario original est écrit par Alphonse Boudard, qui a déjà travaillé avec Denys de La Patellière et Jean Gabin sur Du rififi à Paname, et deux autres fois avec l'acteur. Sa première version pour Le Tatoué, adaptée de sa nouvelle Gégène le tatoué est refusée par les deux acteurs (à 14'00 dans la vidéo ci-dessous).
J'avais fourni la base du film qui a donné Le Tatoué, mais il y a pas une ligne de moi dans le résultat. Je me suis retiré de cette affaire. J'avais envoyé à Gabin le scénario que j'avais écrit, et à de Funès. J'ai téléphoné à Gabin qui m'a dit "Ah dis-donc, tu as bien travaillé pour Louis." Bon... J'ai téléphoné à Louis qui m'a dit : "Mais alors, tout est pour Gabin ! Là, je suis un clown blanc, je suis rien !". À partir de ce moment-là c'était fini.
L'idée c'était de ne pas faire rencontrer à égalité ces deux monstres. Il y avait eu des moments sublimes dans La Traversée de Paris, et dans Le Gentleman d'Epsom. Alors là, ça va. Mais du jour où Louis de Funès est devenu lui aussi une grande star, il est évident que... C'est difficile la cohabitation. On est gouvernés par de Funès et Gabin, vous comprenez...
Comme rapporté dans Louis de Funès, grimace et gloire de Bertrand Dicale (2009), malgré des efforts de réécriture - Jean Gabin n'étant pas d'accord avec le caractère pro-hippie de son personnage et Louis de Funès voulant plus de comique de gestes -, rien n'y fait. Alphonse Boudard quitte le projet et Le Tatoué n'a pas de scénario.
Jean Gabin et Louis de Funès ont un contrat avec Les Films Copernic et doivent tourner ensemble. Même s'ils ne veulent pas faire le film. Une solution est tentée par Denys de La Patellière : tourner deux films, un pour chaque acteur, et reporter leur film ensemble. Le producteur Maurice Jacquin refuse, convaincu par l'impatience des exploitants de salles d'avoir un film avec Jean Gabin et Louis de Funès ensemble, et un report qui serait trop lointain au vu des agendas des deux acteurs.
Un tournage au jour le jour
Sur le tournage, Jean Gabin et Louis de Funès vont progressivement prendre leurs distances. Pour Denys de La Patellière, les conditions de production du film, qu'il met en scène chronologiquement et au jour le jour avec l'aide du scénariste Pascal Jardin arrivé en urgence, y sont pour beaucoup.
C'était tellement fou, on ne savait absolument pas où on allait. Ceci peut éventuellement expliquer pourquoi Gabin et de Funès n'ont pas été très proches. Mais il n'y a jamais eu de problème entre eux. On a raconté beaucoup de choses sur ce tournage qui n'ont jamais existé. La réalité, c'était simplement qu'ils n'étaient pas copains. Au cours du tournage, lorsque nous réglions l'éclairage, ils attendaient dans leurs fauteuils installés côte à côte. Sauf pour les tous derniers jours où leurs fauteuils étaient chacun d'un côté du plateau.
Le réalisateur évoque alors des relations personnelles compliquées. Il cite notamment la présence aux côtés de Louis de Funès de son épouse, ce avec quoi lui-même et Jean Gabin n'étaient pas d'accord. Aussi, une forme de déséquilibre avec une équipe technique "Gabin" que ne connaissait pas Louis de Funès. Ce qui aurait renforcé sa timidité naturelle et son complexe vis-à-vis de Jean Gabin.
Si à sa sortie Le Tatoué est un succès commercial avec près de trois millions de spectateurs - loin des performances habituelles de Louis de Funès -, les critiques sont majoritairement négatives, déçues par cette rencontre privée de l'alchimie qui aurait dû la rendre inoubliable.