Il y a 15 ans sortait en France "Jennifer's Body", une comédie d'horreur avec Megan Fox et Amanda Seyfried, bien plus pertinente et profonde qu'elle n'y paraît. Un film en avance sur son temps, qui mérite d'être réévalué à l'ère post-MeToo.
Jennifer's Body : les conséquences d'un mauvais marketing
Sur le papier, Jennifer's Body (2009) avait tous les arguments pour attirer le public, au moins masculin. De l'horreur sanglante avec Megan Fox plus sexy que jamais en tenue de lycéenne et qui tue des adolescents. Le tout saupoudré de tension sexuelle lesbienne avec sa copine Amanda Seyfried, et toutes les deux prêtes à s'embrasser en petite tenue dans une chambre ! Cela semble sexiste et réducteur ? C'est pourtant globalement comme ça que le film a été vendu lors de sa sortie en salles (le 21 octobre 2009 en France). En attestent l'affiche qui insiste sur le côté sensuel de Megan Fox et la bande-annonce qui en fait autant. Mais en aucun cas ce qu'il faut en retenir. Car la réalité est autre.
Réalisé par Karyn Kusama, Jennifer's Body s'adresse davantage à un public féminin (ou de spectateurs capables de capter deux-trois thèmes féministes sans tourner de l'œil), qu'à un public à la recherche de sensations fortes et de filles canons. C'est d'ailleurs ce qui peut expliquer l'échec du film, puisque le réel public visé n'était pas vraiment au courant qu'on s'adressait à lui. La scénariste Diablo Cody s'était d'ailleurs livrée à ce sujet en interview. Alors que beaucoup de gens lui parlent encore de Jennifer's Body, elle se demande logiquement "où était ce public quand le film est sorti".
Le long-métrage a en effet été un échec critique et commercial, ne rapportant que 31 millions de dollars dans le monde pour un budget estimé à 16 millions de dollars. Un score d'autant plus décevant que sa star, Megan Fox, sortait de Transformers 2 et ses 836 millions de dollars de recettes dans le monde. Heureusement, 15 ans après, certaines personnes sont là pour réhabiliter Jennifer's Body, cette comédie horrifique pleine de mordant.
Megan Fox dévoreuse d'agresseurs
Lycéenne dans une petite ville américaine, Jennifer (Megan Fox) attire tous les regards. Elle reste néanmoins proche de sa meilleure amie Anita (Amanda Seyfried). Un soir, toutes les deux assistent au concert d'un groupe de rock dans un bar. Jennifer tape immédiatement dans l'œil du chanteur. Mais le concert est interrompu par un incendie. Les deux amies s'en sortent, et le chanteur ne perd pas l'occasion de proposer à Jennifer de les suivre dans leur van, sous le regard inquiet d'Anita. L'adolescente va alors être la victime tragique de ce groupe sataniste qui espère obtenir du succès en la sacrifiant. Laissée pour morte, Jennifer va revenir à la vie, mais en étant changée, et bien décidée à faire payer la gent masculine.
Si Karyn Kusama et Diablo Cody jouent sur les clichés de l'horreur et les stéréotypes des personnages féminins, c'est évidemment pour mieux les dénoncer. De son vivant, Jennifer est plus qu'un sex symbol, loin d'être une écervelée. Son entente avec la "ringarde" Anita (là encore le cliché de la nerd est assumé) n'est pas anodine. Mais la jeune fille étant dépossédée de son propre corps au profit du succès désiré par ce groupe de garçons, elle devient leur victime.
À l'ère post-MeToo, la représentation du sexisme et du harcèlement sexuel est claire dans Jennifer's Body. Des thématiques bien moins mises en avant à l'époque. Rappelons au passage que Megan Fox, hypersexualisée lorsqu'elle n'avait que 16 ans le temps d'un plan dans Bad Boys 2 (2003), a souvent été réduite à son physique, puis mise de côté par Hollywood après un conflit avec Michael Bay.
Un rape and revenge politique plus qu'une comédie d'horreur sexy
Dans Jennifer's Body, la victime devient l'antagoniste qui s'attaque aux hommes en les dévorant. Même si ses actions sont condamnables, elle n'est que le fruit de cette violence. Et ne pouvant plus se nourrir normalement, ces meurtres sont pour elle autant un plaisir de vengeance qu'une question de survie. Sans cela, Jennifer perd ses forces et sa beauté, ce qui rajoute à l'idée qu'il ne s'agit pas d'un "monstre sexy" qui fera fantasmer les hommes hétérosexuels. Dans un article visant à réévaluer le film, Vox écrivait en reprenant certains propose de Vice :
Jennifer's Body était un fantasme de rape and revenge (viol et vengeance) déguisé, un regard cinglant et intelligent sur « l'abus, l'autonomisation et la responsabilité » qui anticipait l'ère MeToo, et qui a été torpillé en 2009 par une misogynie à fleur de peau envers Cody et Fox.
Le média insistait sur l'idée que Jennifer's Body est "une réponse au traumatisme et à la tragédie" vécus par la jeune fille. C'est même un "fantasme cathartique pour elle, retournant son traumatisme contre ses agresseurs, utilisant son corps victimisé et violé pour se venger de manière sanglante du patriarcat". D'ailleurs, même s'ils sont victimes de Jennifer, les hommes, tous autant qu'ils sont, ne sont jamais considérés comme des personnages attachants (mauvais ou simplement pathétiques). Ce qui n'est pas un problème en soi et ne devrait, en principe, pas empêcher un public masculin de s'intéresser au film.
"Un commentaire sur la haine entre filles"
Face à Jennifer, il y a une autre fille, Anita, dans une situation compliquée entre sa volonté d'aider sa meilleure amie et sa peur de celle-ci. Elle aussi sera victime d'un système (enfermée et considérée comme folle à la fin du film). Mais le long-métrage pointe de manière intéressante le rapport des filles entre elles, plus souvent poussées à la rivalité qu'à l'entraide. Diablo Cody expliquait à ce sujet :
Ce film est un commentaire sur la haine entre filles, la sexualité, la mort de l'innocence et la politique dans la façon dont la ville réagit aux tragédies (de la mort sanglante de plusieurs jeunes hommes). Toute personne qui ose réagir de manière non conventionnelle est considérée comme un traître.
Et Karyn Kusama d'ajouter :
J'espère que le public pourra voir que c'est un peu plus compliqué qu'une simple comédie, qu'un simple film d'horreur, qu'un simple film de lycée, et qu'il le verra pour ce qu'il est, c'est-à-dire un regard neuf sur toutes ces choses.
Plus que jamais, Jennifer's Body est donc à réévaluer, tout comme Megan Fox, peut-être à son meilleur ici, dans tout ce qu'elle représentait à cet instant et depuis. Le film est actuellement disponible sur Disney+.