Romancier, scénariste et réalisateur, Jérémie Guez enchaîne après "Sons of Philadelphia" (2021) avec "Kanun, la loi du sang", un polar romantique dont on a pu discuter avec lui. Rencontre.
Kanun : Jérémie Guez le romantique
Après une expérience américaine avec Sons of Philadelphia (2021), Jérémie Guez revient (déjà) avec Kanun, la loi du sang, tourné à nouveau en Belgique après son premier long-métrage Bluebird (2020). Cette fois, il filme des acteurs méconnus (Waël Sersoub, Tuğba Sunguroğlu et Arben Bajraktaraj) mais au charisme indéniable, dans un film noir qui trouve son originalité dans les détails de ses personnages et le milieu (la mafia albanaise) dépeint - voir notre critique.
Son troisième long-métrage est le résultat d'un tournage express, tourné en 21 jours (sans compter la préparation entre les périodes de confinement) avec un petit budget, pour une configuration qu'il affectionne particulièrement. Il nous détaille ses envies et ses influences pour ce polar romantique à découvrir en salles le 7 décembre.
Pourquoi être revenu en Belgique après Bluebird ?
Avec ce sujet et ce groupe de criminels, c’était un peu obligatoire. Aussi, les personnages sont haut en couleur, très bordéliques. C’était l’occasion de les filmer dans des paysages qui disent l’inverse de ça. C’est l’avantage que j’ai tiré du fait de traiter d’un milieu compliqué, la mafia albanaise. Mais c’est vraiment le sujet qui était prioritaire.
Devant Kanun, on pense à Nicolas Winding Refn, mais aussi au cinéma hongkongais.
J'ai un amour pour les films hongkongais contemporains, et asiatiques en général. J’aime énormément ce cinéma et la fulgurance qu’il y a eu à Hong Kong quand j’étais plus jeune. Je pense que, comme tout le monde, j’ai été touché par le fait que ces gens faisaient du cinéma différemment.
Tu t'es replongé dans certains de ces films pour réaliser Kanun ?
Non, en fait ce n'est pas forcément des films auxquels je repense. J’ai revu Wong Kar-wai mais typiquement John Woo est un réalisateur que je ne revois pas, car il m’a tellement marqué à l’époque que j’en ai un souvenir vivace. Je vis avec le souvenir du choc esthétique donc ça peut créer autre chose.
Au-delà de l'aspect visuel, qu'est ce qui t'inspire dans ce cinéma ?
Ce que je trouve super dans ces films, c’est la dichotomie entre l’univers noir, violent, et les relations amoureuses qui ont quelque chose de quasi comique. On trouve toujours des personnages qui sont comme chien et chat. Il y a très peu de codes de séduction comme on a chez nous. Et je voulais recréer ça. C'est une bonne opposition avec les codes du film noir.
Sur la partie amoureuse de Kanun, il n'y a pas le mal alpha face à la femme. Il y a des filles qui balancent des trucs, c'est presque du Nicky Larson. Et en face, les mecs sont contrariés dans leur virilité. Je pense que c'est ce principe-là que j’ai “volé”. Par contre, pour la relation entre Lorik et Aleks, je suis allé voir du côté du cinéma italien. On a deux gars qui pourraient sortir d’un film de Fellini. Ils s’engueulent, ils se répondent sans se parler, ils sont jamais au même niveau de compréhension. Il y a un truc très bordélique qui ne va pas du tout avec le métier qu’ils font, et ça me plaît.
Même si le milieu présenté est violent, on sent que le romantisme domine, et beaucoup de douceur.
En fait, au départ je voulais faire une histoire d’amour entre deux adolescents. D'où cette espèce de béatitude et d’errance dans le film. On le retrouve avec la scène de la trottinette. Si t’es pas à 100% dedans quand la musique part, et que t’as pas envie d’être sur la trottinette avec eux, c’est raté. Soit on rentre dans le film au premier degré, soit on reste extérieur. Mais ça ne sert à rien de l’aborder comme une plongée dans les milieux mafieux. Ce n’est pas du tout ça Kanun. Tout est scénarisé, bricolé pour en faire une expérience émotionnelle plutôt qu’un film d’action.
La mafia albanaise a tout de même son importance dans le film. Qu'est-ce qui t'y a amené ?
J’ai toujours aimé les Balkans. C’est un peuple qui n'a pas bougé, qui a gardé son identité. J’ai de l’admiration pour ça. Ensuite il y a ce truc du kanun, qui est assez hallucinant je trouve. C’est un texte de loi tiré d’une sorte de code civil féodal mais qui est très avancé pour l’époque. Et si on en tire une phrase, aujourd’hui on peut lui faire dire n’importe quoi. Donc je trouvais qu’il y avait quelque chose de contemporain dans l'idée de prendre un texte très avancé pour l’époque, quasi sacré et très positif, pour en faire autre chose. C'est un peu la spécialité de notre monde.
Après trois longs-métrages, est-ce que tu vois une évolution dans ton cinéma ?
J’ai l’impression que j’ai fait trois premiers films car c’est toujours des choses différentes. Il n'y a pas les mêmes acteurs, pas la même histoire, les mêmes idées visuelles, etc. Je ne pense pas avoir sédimenté des connaissances. J'ai plutôt essayé de faire trois choses vraiment indépendantes dans un esprit un peu anarchique.
La seule chose qui ne change pas, c’est économiquement. Je pense que j’ai une appétence pour ces petits dispositifs. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien si j'ai toujours préféré Mean Streets à Casino. Il y a peu de gens dans mon cas et sûrement qu'il y en a un qui est moins bien exécuté que l’autre. Mais le côté joyau mal dégrossi du premier me plaît bien.
Cela te semble plus simple de travailler sur une petite production ?
Même avec une petite production il faut que tout le monde joue le jeu. J’ai la chance d’avoir d'excellents producteurs qui permettent une telle diversité de cinéma avec des choix audacieux. On a une chance inouïe d’être en France pour ça. Je ne sais pas si je pourrais refaire ça dans quelques années. Parce que le marché demande quelque chose d’assez formaté.
En parlant de diversité, que penses-tu de ce qui se fait en ce moment ?
On peut parler de la représentation des acteurs dans le cinéma. On parle de combien de noms ? C’est tout petit. Même s’ils sont très bons, mais c’est petit par rapport au nombre de films. On a un mécanisme qui permet l’audace, la diversité qui permet de faire émerger des visages. Si on prend un acteur qui a déjà tout fait, pourquoi le prendre pour un énième rôle ? Les films ne sont pas des véhicules pour les stars, mais des véhicules pour le public.
Après il y a des principes commerciaux que je comprends. Mais je ne sais pas si le désir du spectateur ne s’émousse pas à voir toujours les mêmes têtes. Pour moi, oui en tout cas. Pour donner un exemple, il y a dans les salles Pacifiction et Saint Omer. Je regarde les bandes-annonces, l'un n'a rien à voir avec l'autre. Mais j’ai envie d’aller voir les deux. D’un côté je ne reconnais pas Magimel, de l’autre il y a que des acteurs qu’on ne connaît pas. Je trouve ça cool. Pour moi, c’est ça le cinéma.