Sorti en 1952, et redistribué en salles il y a dix ans en 2014, "Jeux interdits" reste pour beaucoup le plus grand trauma de leur jeunesse. Un film emblématique du cinéma français dont on ne se lasse pas.
Jeux interdits : l'enfance face à la guerre
Il y a des films qui marquent une enfance. Des œuvres vues probablement trop jeune, et dont le trauma provoqué se ressent encore des années plus tard. Il suffit parfois d'une seule séquence, comme celle où Artax succombe à la mélancolie dans L'Histoire sans fin (1984). Quand d'autres longs-métrages se révèle déchirant dans leur ensemble. Dans ce genre, difficile de faire plus éprouvant que Jeux interdits (1952), grand film sur l'enfance et la Seconde Guerre mondiale, réalisé par René Clément.
Dedans, on découvre une très jeune Brigitte Fossey (5 ans au moment du tournage) dans le rôle de Paulette, dont les parents viennent de mourir après le bombardement d'un avion allemand. Perdue en pleine campagne, Paulette fait la rencontre de Michel (Georges Poujouly), dix ans, qui l'emmène dans la ferme de ses parents. Ces derniers acceptent de la recueillir, avant tout pour s'assurer que leurs voisins ne le fassent à leur place et en tirent une certaine gloire.
Jeux interdits suit alors ces deux enfants inconscients et qui s'entraident comme ils peuvent. C'est surtout Michel qui fait tout pour aider la jeune fille à surmonter le drame qu'elle a vécu et qu'elle ne peut totalement comprendre. Il acceptera ainsi de voler pour elle des croix pour fabriquer un cimetière pour animaux, étonnante source de réconfort de Paulette, mais il en payera le prix.
Brigitte Fossey, la première traumatisée
La force de René Clément est de montrer l'horreur de la guerre par le prisme de l'enfance. Au milieu de cette époque terrible, les enfants trouvent refuge dans leur imaginaire. Mais pour le spectateur, la tragédie demeure. Si déjà la situation de Paulette a de quoi choquer un jeune public, le final reste une des séquences les plus tristes de l'histoire du cinéma. On y voit Paulette remise à un orphelinat, qui attend seule. En entendant quelqu'un dire le nom de Michel, elle se met soudain à appeler à son tour son ami, pour une dernière vague d'émotion.
Cette émotion que véhicule Brigitte Fossey à cet instant est impressionnante, car criante de vérité. Elle a cependant été provoquée par une manipulation de René Clément, assez traumatisante pour la comédienne. Seulement, pour elle, le véritable choc a eu lieu plus tard, lors de la projection du film au Festival de Cannes. La jeune enfant découvrait alors pour la première fois les bombardements sur grand écran. Un moment d'autant plus éprouvant pour elle, que son père et sa mère interprètent dans le film les parents de Paulette, qui meurent sur un pont.
Un succès mondial et une musique inoubliable
Ce trauma de Brigitte Fossey, qui a dû retourner des scènes plusieurs mois après le tournage et alors qu'elle avait un peu trop grandi, a donc été partagé avec de nombreux spectateurs. En effet, Jeux interdits a marqué les générations et a été un succès mondial à sa sortie. Un phénomène tellement important que Brigitte Fossey a été présentée à la reine Élisabeth II en février 1953. Récompensé du Grand Prix Indépendant au Festival de Cannes en 1952, du Lion d'or à la Mostra de Venise en 1952, et de l'Oscar du meilleur film étranger en 1953, le long-métrage n'a pas uniquement marqué son époque. Il est resté une référence et "un film emblématique du cinéma français", comme l'écrit l'INA dans un article consacré à Jeux interdits.
Enfin, Jeux interdits ne serait pas aussi ancré dans les souvenirs des spectateurs s'il n'y avait pas cette musique si facilement identifiable. Une mélodie à la guitare imaginée à l'origine pour le film Arènes sanglantes (1941) de Rouben Mamoulian sous le titre Romance anonyme, et interprétée dans Jeux interdits par Narciso Yepes.