Dans "Making of" de Cédric Kahn, récit enlevé d'un tournage chaotique, Jonathan Cohen est une star égocentrique et capricieuse, et Denis Podalydès un réalisateur au bout du rouleau. On les a rencontrés pour entrer dans les coulisses de cette comédie pas comme les autres.
Vous avez tourné tous les deux pour la première fois avec Cédric Khan, dans sa comédie Making of. Comment ça s'est passé ?
Jonathan Cohen : On se connaissait déjà un petit peu, et on avait envie de travailler ensemble. Je sais qu'il aime beaucoup la comédie. Il m'a dit : "Je me fais chier à faire des films qui sont durs, tristes, avec des sujets forts, mais en vrai j'adore la comédie." (rires). Il a beaucoup aimé La Flamme, et il avait donc envie qu'on travaille ensemble. Quand on a parlé de ce rôle-là, la star du film qui essaye de faire son "Tchao Pantin", il y avait des zones intéressantes. Notamment le fait que ce soit moi, qui ai fait beaucoup de comédies. C'est le même chemin dans ce film, j'avais ça en commun avec le personnage.
L'inspiration de ce personnage est, je pense, mêlée de gens qu'il connaît et moi de ce que je pouvais imaginer d'un acteur comme ça. Quelqu'un d'un peu vampirisant, prêt à tout pour qu'on le voie.
Denis Podalydès : J'étais ravi qu'il me contacte. Je connaissais Cédric très vaguement, de loi en loin au fil des années. Le fait que mon frère soit réalisateur, que j'ai un pied dans la comédie et un pied au théâtre... Je ne sais pas exactement, je ne me suis pas éternisé sur les raisons qui ont fait qu'il m'a appelé. Mais je crois qu'il pouvait se projeter avec moi. Ma question était : pourquoi il ne le joue pas lui-même ? Pourquoi me le donner ?
Je crois qu'il voulait se projeter, et en même temps rester extérieur, peut-être qu'il n'avait pas assez confiance en lui-même sur le plan de la comédie. Mais je crois qu'il avait surtout envie de réaliser vraiment une comédie. Making of était un projet très sérieux pour lui, d'autant plus qu'il avait en parallèle Le Procès Goldman, donc je crois que c'était une belle période pour lui en tant que créateur, et on a beaucoup profité de ça.
Denis, vous êtes acteur, metteur en scène, scénariste et sociétaire de la Comédie-Française, mais vous n'avez jamais réalisé pour le cinéma. Comment avez-vous alors vécu ce rôle ?
Ça m'a beaucoup amusé, parce que je finis par en avoir vu pas mal des réalisateurs. J'en ai vu qui étaient noyés. Et ça m'a parfois amusé comme parfois profondément touché, quand je voyais un réalisateur qui ne s'en sortait pas. Il y a quelque chose de fatal et de tragique dans un film qui s'enlise. Comme un spectacle qui s'enlise, quand la confiance est perdue, quand les gens ne se comprennent plus...
C'est comme une fin du monde dans un microcosme, et je connais ça. C'est un terrain fertile pour la comédie, et ça m'amuse et me touche en même temps. À condition cependant de ne pas être dans la caricature. Un film comme ça qui se désorganise, c'est plein de petits détails subtils, et je sentais que Cédric connaissait ça, qu'il l'avait vécu lui-même en tant que réalisateur.
Making of raconte un tournage qui sombre dans le chaos, mais comment était-ce en coulisses ?
Jonathan Cohen : Ça a été un tournage très joyeux. Il y a ces trois histoires qu'il fallait imbriquer, mais Cédric savait exactement ce qu'il voulait. On a tourné pendant le Covid, c'était une période périlleuse. Les gens tombaient comme des mouches, il a perdu son premier assistant, puis le second, je l'ai vu un jour la caméra sur l'épaule, un truc là, un autre ici... Mais en même temps, je l'ai rarement vu aussi joyeux. Même si son film aborde des choses profondes, sa légèreté l'a contaminé. C'était propice à l'expérimentation, à la joie, et tout s'est passé avec fluidité.
Denis Podalydès : C'est vrai, ça s'est fait à rebours de ce qu'on voit dans le film.
Jonathan Cohen : Ça aurait pu être totalement chaotique !
Denis Podalydès : J'ai eu une crise d'appendicite un soir, je suis allé aux urgences dans la nuit. J'ai appelé juste avant de me faire opérer, pour dire que j'étais sur la touche. Deux heures plus tard, il était là. Je crois qu'on a pris qu'une semaine de retard, alors qu'il y a eu des cas de Covid... C'est juste, il y a vraiment une joie qui a traversé tout le film.
Making of est une comédie, mais aborde l'envers de ce "monde merveilleux" du cinéma et montre, sans juger les personnages, les difficultés et parfois les violences qui peuvent s'y exercer.
Denis Podalydès : On peut avoir un réalisateur tout à fait démocrate, très à gauche, et le tournage va amener des situations... Toute entreprise artistique n'est pas fondamentalement démocratique. Je pense même que c'est assez anti-démocratique. Moins il y a d'argent, plus c'est inconfortable, plus il va ya voir des heures supplémentaires impayées, des gens engagés à la moitié du SMIC, des acteurs à 1 million d'euros - un concept très... fatigant - et d'autres très peu payés.
Et le cinéma c'est fatigant. Ce n'est pas protégé comme une salle de répétitions. Si on tourne un film entièrement en studio, c'est autre chose, mais un tournage est quelque chose qui peut se vivre de manière assez dure, selon le budget alloué. Pour un réalisateur, c'est très oppressant. J'ai souvent vu des metteurs en scène oppressés par les conditions de tournage. Voire même, parfois, détruits par ça.
Les gens comme Cédric ont connu un cinéma très protégé, souvent à leurs débuts, et puis ont connu une dégradation des moyens de tournage. Donc maintenant ils savent le prix d'un film, ils savent le raconter et ils savent s'en tirer. Je suis souvent étonné de voir comment certains films sont réalisés avec si peu de budget. Ce sont des gens très conscients, politiquement, socialement, et artistiquement. Ça va de pair.
Making of est le lieu d'une première rencontre et une première collaboration entre vous. Comment s'est-elle déroulée ?
Denis Podalydès : C'était très bien. J'adore quand la scène peut soudain déborder en improvisation, parce qu'on a une situation qui est riche et qu'on s'entend. C'est ce qui est arrivé. J'ai des souvenirs de moments merveilleux où je ne ressentais pas l'effort de travail, mais plutôt quelque chose qui venait.
Pourriez-vous inviter Jonathan sur scène ?
Denis Podalydès : Bien sûr, il y un charme incroyable dans le travail avec Jonathan. On est pris, on a envie que ça continue. Jonathan sait nuancer très finement, tout en allant très loin.
Jonathan Cohen : J'aimerais bien revenir au théâtre, parce que c'est ma base. L'étude des textes, les répétitions, l'humilité de se dire que, même au bout d'un mois et demi de répétitions, on n'a peut-être toujours pas compris ce qu'on faisait (rires). Je crois que dans ce milieu, c'est le métier le plus humble. Le cinéma est différent, dans un esprit plus instantané, mais moi j'aime les répétitions, essayer, tenter des choses dans cette safe place qu'est la salle de répétitions. On peut tout faire, tout tenter, tout créer, et ce sont des sensations rares.