En 2012, Viola Davis est nommée aux Oscars pour sa performance dans "La Couleur des sentiments", où elle incarne une domestique dans le Mississippi des années 60. Un drame dans lequel la comédienne regrette d’avoir joué.
La Couleur des sentiments : un ouvrage pour le changement
Avant de s’orienter vers le thriller et l'action avec La Fille du train, Ma et Ava, Tate Taylor signe le drame La Couleur des sentiments, sorti en 2011. Adaptation du bestseller The Help de Kathryn Stockett, le film se déroule dans le Mississippi ségrégationniste du début des années 60.
Après ses études, Skeeter Phelan (Emma Stone) revient s’installer chez sa mère Charlotte (Allison Janney) dans sa ville natale de Jackson. Alors qu’elle trouve un poste de chroniqueuse dans le quotidien local, qui pourrait la mener vers une carrière de journaliste et de romancière, Skeeter est de nouveau témoin du racisme de la région et du traitement détestable des domestiques.
Tandis que son amie d’enfance Hilly (Bryce Dallas Howard) se complaît dans la haine et la bêtise, l’écrivaine espère pouvoir changer les choses. Elle décide de se lancer dans la création d’un ouvrage : le recueil de témoignages de domestiques sur leurs conditions de vie et de travail, lancé grâce aux participations d’Aibileen Clark (Viola Davis) et Minny Jackson (Octavia Spencer).
Jessica Chastain, Sissy Spacek, Cicely Tison, Mary Steenburgen et Christopher Lowell complètent la distribution de La Couleur de sentiments. En 2012, Viola Davis, Octavia Spencer et Jessica Chastain sont nommées aux Oscars pour leur interprétation. Le long-métrage figure également dans la catégorie Meilleur film. Seule Octavia Spencer remporte une statuette.
Un long-métrage qui divise
S’il se veut un film choral exposant de nombreux points de vue, La Couleur des sentiments adopte le plus souvent le regard de Skeeter, quand bien même la narratrice est Aibileen. C’est la journaliste qui donne l’impulsion pour le développement de l’ouvrage The Help. Un aspect de l'histoire qui divise lors de la sortie, en partie parce qu’il minimise les efforts menés par le mouvement des droits civiques.
Dans une lettre ouverte publiée en 2011, l’Association of Black Women Historians déplore la représentation faussée des domestiques et de la communauté afro-américaine dans le Mississipi des années 60. Elle propose notamment une "résurrection" de "Mammy", décrite de la manière suivante par l'organisme :
Un stéréotype mythique de femmes contraintes, soit par l’esclavage, soit par la ségrégation, à servir des familles blanches.
L’association précise ensuite :
Dépeinte comme une gardienne asexuée et loyale, la caricature de Mammy a permis à l'Amérique dominante d'ignorer le racisme systémique qui liait les femmes noires à des emplois éreintants et mal payés où les employeurs les exploitaient régulièrement. La popularité de cette récente itération est troublante car elle révèle une nostalgie contemporaine de l'époque où une femme noire ne pouvait qu'espérer nettoyer la Maison-Blanche plutôt que d'y résider.
Avant d’évoquer l’absence de situations vécues par les domestiques comme le harcèlement sexuel ou les abus physiques dans le long-métrage, l’Association of Black Women Historians déclare en préambule de ce communiqué :
Malgré les efforts de marketing déployés pour vendre le livre et le film comme le récit progressiste d’un triomphe sur l’injustice raciale, La Couleur des sentiments contrefait, ignore, et banalise l’expérience des travailleurs domestiques noirs. Au final, le film n’est pas une histoire des millions de travailleurs noirs (…), mais le récit de l’émancipation d’une femme blanche.
Les regrets de Viola Davis
En 2020, lors d’un entretien pour Vanity Fair, Viola Davis explique qu’elle partage cette opinion et qu’elle regrette d’avoir participé au film. Si elle loue le talent de Tate Taylor et celui de ses partenaires à l’écran, la comédienne affirme ainsi :
Une partie de moi a le sentiment de m’être trahie, parce que j’ai joué dans un film qui n’était pas prêt à dire toute la vérité.
Deux ans plus tôt, la lauréate d’un Oscar pour Fences assure déjà auprès du New York Times :
Au final, j’ai eu le sentiment que ce n’était pas les voix des bonnes qui étaient entendues. Je connais Aibileen. Je connais Minny. C’est ma grand-mère. C’est ma mère. Et je sais que si l’on fait un film où le principe est de révéler ce que ça fait de travailler pour des Blancs et d’élever leurs enfants en 1963, je veux voir ce qu’elles pensent vraiment. Et je ne l’entends jamais dans le film.