Ana Girardot est une jeune écrivaine qui souhaite écrire sur les maisons closes dans "La Maison", et qui décide d'en intégrer une à Berlin pour son ouvrage. La comédienne, sa partenaire Aure Atika et la réalisatrice Anissa Bonnefont nous ont parlé de cette adaptation de l'ouvrage d'Emma Becker au Festival de Saint-Jean-de-Luz.
La Maison : une plongée dans un bordel berlinois
Adaptation de l'autofiction éponyme d'Emma Becker, La Maison raconte deux ans de la vie d'une jeune écrivaine installée à Berlin, interprétée par Ana Girardot. Un soir, elle propose à un ami de se rendre dans une maison close mais ils prennent la fuite au moment d'entrer. Curieuse d'en savoir plus sur cet univers auquel elle aimerait consacrer son prochain ouvrage, elle décide de l'intégrer en tant que prostituée, prenant pour pseudonyme Justine. À la suite d'une expérience effrayante avec un client, elle quitte l'établissement subitement et n'y revient pas.
Elle parvient par la suite à rejoindre une autre maison, où il règne un climat nettement plus chaleureux entre les prostituées, et qui compte de nombreux clients réguliers. Emma prend goût à ce travail et s'attache énormément à ses collègues, incarnées par Aure Atika, Rossy de Palma, Nikita Bellucci ou encore Irma.
Mettant de côté l'écriture, elle inquiète sa petite sœur Madeleine (Gina Jimenez) et refuse de révéler à sa mère son nouveau métier. Elle rencontre par ailleurs un homme, Ian (Lucas Englander), auquel elle décide à l'inverse de ne rien cacher.
"Il est évident que c'est un film clivant"
Retraçant le quotidien d'une maison close, la complicité entre ses travailleuses et les rapports parfois tendres, tristes ou insoutenables avec les clients, filmés de manière frontale et très stylisée, La Maison ne devrait pas laisser les spectateurs indifférents.
Lors de notre rencontre au Festival de Saint-Jean-de-Luz, la réalisatrice Anissa Bonnefont - qui signe son premier long-métrage de fiction après les documentaires Wonder Boy : Olivier Rousteing, né sous X et Nadia, nous a expliqué :
Il est évident que c'est un film clivant, on le savait. Je l'assume pleinement. Pourquoi ce film peut potentiellement déranger, choquer ou même embarrasser ? C'est parce qu'on montre une jeune femme qui se prostitue, et qui ne voit pas du tout ce que nous voyons de la prostitution, c'est-à-dire la soumission, quelque chose de lugubre, de triste, mais au contraire elle trouve là toute sa puissance. C'est ce qu'elle dit. Quand elle est sur ces hommes, elle se sent surpuissante.
J'espère très fort que ce film pourra permettre d'abaisser un peu les jugements, de se dire : "Pourquoi le chemin de quelqu'un peut tant me déranger ? À partir du moment où ce quelqu'un ne me fait pas de mal..."
Une longue préparation
Pour cette réflexion sur le désir "aussi bien physique qu'intellectuel" selon les mots de la cinéaste, l'équipe du film s'est longuement préparée pour les scènes de sexe mais aussi pour retranscrire l'ambiance des maisons closes. En plus de ses longs échanges avec Emma Becker, Anissa Bonnefont s'est notamment rendue dans plusieurs établissements pour en comprendre le fonctionnement, et observer l'accueil des clients.
À propos des recherches avec Aure Atika, qui joue une prostituée brisée qui n'a elle pas eu d'autre choix que de faire ce métier contrairement à Emma, Anissa Bonnefont nous a déclaré :
Avec Aure, on a eu besoin et envie d'aller à la rencontre d'une dominatrice SM pour justement ne pas entrer dans les clichés qu'on pouvait imaginer de ce monde. Pour le scénario, j'ai eu envie qu'elle me donne son regard sur les dialogues, pour ne pas être dans un cliché.
Aure Atika a ajouté :
Finalement, c'est aussi explorer notre rapport au corps, notre rapport à l'autre, le regard masculin. Comment je me sens à la fin d'une séance de domination, entre guillemets. C'était pour nous aussi une façon d'explorer plein de facettes qu'on n'a pas tellement l'occasion d'explorer dans des films.
Un rôle complexe pour Ana Girardot
Au sujet de sa préparation pour les scènes physiques, Ana Girardot nous a révélé avoir travaillé pendant plusieurs mois avec une danseuse du Crazy Horse, afin d'apprendre "l'ancrage et l'affirmation de son corps, la démarche et le regard". La comédienne a poursuivi :
Ce sont des armes qui m'ont permis d'avancer et de jouer mon rôle avec cette assurance, avec cette boussole en moi. Et puis quand on a Anissa en face de soi qui explique exactement tout ce qui va se passer, avec qui, et pourquoi... Il y a quelque chose de tellement assumé, de tellement honnête qu'on y va main dans la main, ensemble, et que rien n'est difficile à partir de là. Rien n'est caché, rien n'est troublant. On ne se sent pas exposée, on ne se sent pas utilisée. Peut-être que parfois j'avais une petite appréhension évidemment, mais par rapport à la nudité par exemple, il n'y avait plus de gêne. J'étais concentrée ailleurs.
Anissa Bonnefont a ensuite précisé que chaque scène de nu et de sexe est "narrative", ajoutant :
Elles ne sont jamais gratuites, elles font avancer le récit.
Des séquences qui retranscrivent avant tout le parcours émotionnel de l'héroïne, au même titre que ses confrontations avec sa petite sœur et son petit ami, peut-être encore plus difficiles à tourner selon Ana Girardot :
C'est important que l'équilibre entre les mondes d'Emma et Justine existe dans le film. C'était d'autant plus rassurant pour moi de me dire que finalement les challenges sont plus dans les scènes d'émotion, de rapports humains, et c'est ceux-là que je ne peux vraiment pas rater. Parce que sinon l'autre performance, qui est plus physique, qui est autre, n'aurait pas le même poids.
La Maison est à découvrir au cinéma dès le 16 novembre 2022.