Pour son premier long-métrage, Arkasha Stevenson fait fort avec "La Malédiction : LOrigine", préquel du film d'horreur de Richard Donner. La réalisatrice revient avec nous sur la conception de ce film surprenant et fascinant, porté par une excellente Nell Tiger Free.
Arkasha Stevenson, la réalisatrice derrière La Malédiction : L'Origine
La Malédiction (1976) de Richard Donner fait partie des films d'horreur cultes des années 1970, au même titre par exemple de L'Exorciste (1974). Dedans, un couple découvrait que l'enfant qu'ils ont adopté et appelé Damien est en fait l'Antéchrist. Après le long-métrage de Richard Donner, deux suites ont suivi, ainsi qu'un téléfilm avant un remake en 2006. Il manquait encore à la franchise un préquel pour raconter les origines de Damien. Et c'est ce que se charge de faire La Malédiction : L'Origine. Du moins, sur le papier. Car la réalisatrice Arkasha Stevenson propose avant tout une œuvre fascinante, mettant en avant le corps de femmes mis à mal par une partie secrète de l'Église, prête à toutes les horreurs pour créer l'Antéchrist (voir notre critique).
On suit alors Margaret, une jeune nonne qui va découvrir ces actes sordides au sein d'un orphelinat, à Rome. Nell Tiger Free, l'actrice qui l'interprète, impressionne dans ce rôle qui la voit naviguer au bord de la folie. Arkasha Stevenson ne s'est pas trompée en la choisissant et nous a raconté l'impression que lui a fait la comédienne, capable de rentrer dans son rôle de manière surprenante. La cinéaste a également analysé avec nous son œuvre et ses influences, des peintures de Caravage au film Possession (1981) avec Isabelle Adjani, en passant par Michael Haneke.
CinéSérie : Avant toute chose, je dois dire que Nell Tiger Free m'a vraiment impressionné. On dirait qu'il suffit de braquer la caméra sur son visage et la magie opère.
Arkasha Stevenson : C'est intéressant et magnifique de regarder Nell Tiger Free jouer. Mais ça peut aussi être inquiétant, parce que c'est comme si elle était possédée, et on a l'impression qu'elle contrôle cette possession. Je me souviens que je regardais le moniteur. Je voyais ses yeux, je disais "action" et soudain quelque chose changeait dans son regard. Il y a une bascule qu'on peut voir physiquement. Cela vient du fait qu'elle est très instinctive. Et elle réapparaît dès qu'on dit "coupez". Alors, je pouvais la retrouver, discuter avec elle, avant qu'elle replonge dedans. Mais par cette capacité qu'elle a, Nell est devenue un élément clé du film, parce que j'ai pu m'appuyer beaucoup sur elle tout au long du film.
Comme pour cette séquence dans le dernier acte du film qui rappelle une scène d'Isabelle Adjani dans Possession, dans les couloirs du métro. J'imagine que c'était une référence pour vous.
Oui, c'est une référence totalement assumée à Possession. Cette scène avec Isabelle Adjani, c'est iconique pour moi, c'est le sommet du body horror. Quand j'ai vu cette scène pour la première fois, j'ai sangloté. Je n'avais jamais rien vu de tel. Je n'avais jamais vu une femme comme ça à l'écran. Et j'ai aussi eu l'impression qu'Isabelle Adjani exprimait quelque chose que j'avais pu ressentir, mais pour lequel je n'avais jamais pu trouver de mots. Donc ça m'a semblé très naturel d'ajouter à mon film, qui est centré sur l'horreur autour du corps des femmes, un hommage à Possession. Nell en a donné une version bestiale. Je suis vraiment très fière de cette séquence.
Ce que je trouve intéressant avec La Malédiction : L'Origine c'est que derrière il y a une franchise horrifique connue. Mais vous êtes parvenue à vous l'approprier en faisant un film original sur la dépossession du corps des femmes. Avec une représentation qui va loin dans la violence graphique. Comment êtes-vous parvenue à convaincre un studio comme Disney et sa filiale 20th Century Studios de vous suivre ?
C'est exactement ça ce film. Et je ne sais pas vraiment comment on est parvenu à convaincre Disney et 20th Century Studios. C'est étrange. On leur a présenté un film d'horreur sur l'autonomie du corps féminin, et la première chose qu'on leur a pitché, c'était la scène de l'accouchement avec le plan frontal du vagin. On voulait être totalement transparents et leur expliquer ce qu'on voulait raconter avec ce film, et par quel type d'images. Et ils ont été d'accord. Tout le monde a hoché la tête lors de notre réunion sur Zoom et ils ont dit "Ok, faisons-le". Ils ont été d'un grand soutien tout au long de ce processus.
Il y a dans le film des éléments horrifiques classiques, des jumpscares qui sont presque des clichés du genre. Mais vous les utilisez pour ensuite les dépasser et surprendre le public, en prenant parfois une autre direction.
Je pense qu'il y a d'abord une obligation envers les fans de films d'horreur de leur offrir ce genre d'éléments qui font peur. Il faut en mettre. Mais en réalité, les jumpscares sont utilisés comme un Macguffin (un prétexte dans le développement d'un scénario, ndlr). Car il y a une menace plus grande, plus existentielle, qui est enfouie. Nous voulions que cette menace s'imprègne lentement et qu'elle commence à s'immiscer dans la peau des gens.
C'est ce qui fait tendre le film vers le thriller psychologique, plus que le film d'horreur fantastique.
Exactement. Car nous voulions vraiment étendre l'horreur à travers la tragédie. Cela va peut-être vous surprendre, mais avec Tim Smith, mon partenaire créatif, nous sommes allés chercher du côté de Michael Haneke. Pour moi, Haneke est un cinéaste de l'horreur qui s'enfonce dans votre âme. Et il le fait en montrant l'horreur par le prisme de la tragédie.
Je n'avais pas pensé à Haneke, mais en effet. Par contre, visuellement, La Malédiction : L'Origine m'a rappelé d'autres œuvres. Notamment lors d'une scène où Margaret se prépare à sortir. Elle apparaît devant ses miroirs dans une tenue qui est très similaire à ce que portait Elle Fanning dans The Neon Demon.
C'est amusant, je n'y avais pas du tout pensé. Mais c'est intéressant, car c'est aussi un film qui parle du corps féminin et de la façon dont il est exploité. Donc il était peut-être présent en moi inconsciemment. En tout cas, il faut que je revoie ce film, c'est vraiment intéressant comme lien.
Plus globalement, comment avez-vous réfléchi à l'aspect visuel du film ? Il y a une ambiance film des années 1970 et des plans superbes qui pourraient sortir d'un tableau.
Merci de le noter parce que j'adore le cinéma d'horreur des années 1970. Je regardais ça quand j'étais enfant et je me sentais bien devant, et en sécurité. Donc avec le directeur de la photographie Aaron Morton on a voulu donner l'impression que ce film aurait pu être tourné dans les années 1970. On a aussi voulu qu'au début la caméra soit guidée par le personnage, et pas entièrement libre. Puis, qu'au fur et à mesure que la menace surnaturelle approche, que la caméra commence en quelque sorte à flotter et à se balader.
Et pour ce qui est de l'aspect pictural du film, on a travaillé sur un contraste faible, qui différencie le film d'autres productions horrifiques contemporaines. C'était très important pour nous parce que tourner dans une ville aussi magnifique que Rome, avec toute cette iconographie religieuse, il fallait capter ça. Et bien sûr, il y a Caravage qui a été une grande source d'inspiration en terme d'éclairage, de lumière et d'ombre.
En parlant de Caravage, lors de la scène de l'accouchement, vous insistez sur le visage hurlant de la femme. Cela m'a fait penser à la représentation de la Méduse par Caravage. J'y ai repensé avec un autre plan, cette fois de Margaret sur son lit, qui a une expression beaucoup plus calme, qui n'inspire pas la terreur. L'idée de la Méduse irait bien avec votre film et ces deux images, car dans la mythologie grecque, il s'agit d'une femme violée par Poséidon et transformée par Athéna à cause de cela. On voyait en elle un monstre, alors qu'elle est la victime dans cette histoire. Mais mon analyse va peut-être un peu loin...
C'est brillant ! Je vais vous voler ça et dire aux gens que cette idée vient de moi (rire, ndlr). C'est incroyable. Je ne connaissais pas cette histoire et je n'y avais pas du tout pensé. En réalité, sur ce plan de Margaret, je l'ai placée de cette manière avec ses cheveux qui ondulent parce que je voulais donner l'impression qu'elle se noyait durant un moment de détresse. Mais j'adore cette histoire sur la Méduse. Je vais me renseigner sur ça, c'est vraiment intéressant.
Enfin, vous avez évoqué votre intérêt pour le cinéma des années 1970. Mais au-delà de ça, vous prenez la peine au début du film d'évoquer des mouvements sociaux en Italie à cette période, et vous utilisez ce contexte.
En fait, nous avons hérité d'une première version du scénario dans laquelle le récit se déroulait déjà à Rome dans les années 1970. Donc on a fait des recherches sur l'Italie à cette période et on a appris beaucoup de choses sur les années de plomb et sur la guerrilla entre des groupes d'extrême gauche et les néo-fascistes. Je pense que, dans le film, ça donne une vraie motivation à l'Église pour donner naissance à l'Antéchrist. Mais je pense que ça a aussi amené un parallèle sur des choses qui se passent actuellement sur le plan politique. Je dirais même qu'il y a quelque chose d'assez sinistre et effrayant dans ces parallèles entre hier et aujourd'hui. Mais ça apporte grandement à l'histoire.
La Malédiction : L'Origine est à découvrir en salles le 10 avril 2024.