Rencontre avec Lætitia Dosch pour la sortie de son premier film, "Le Procès du chien", une comédie pétillante et pertinente dans son regard sur la société. Attention, la dernière question de cette interview évoque la fin et est un spoiler.
Le Procès du chien : Lætitia Dosch nous parle de son premier film
Cinq mois après avoir été chaleureusement applaudie au Festival de Cannes, Lætitia Dosch voit son premier film sortir dans les salles françaises (le 11 septembre 2024). L'actrice signe la réalisation et le scénario (co-écrit avec Anne-Sophie Bailly) de la comédie Le Procès du chien, dans lequel elle interprète Avril, une avocate qui ne cesse de défendre des causes perdues et qui enchaîne donc les échecs. Une de plus arrive sur son bureau : le chien d'un homme malvoyant qui a mordu une troisième fois et doit selon la loi être piqué. Prise par les sentiments, Avril va malgré tout se battre pour Cosmos en demandant à un juge de ne pas considérer l'animal comme une chose appartenant à son maître.
Par ce procès, c'est notre rapport aux animaux, mais celui entre les hommes et les femmes, que questionne Lætitia Dosch. Et elle le fait remarquablement bien par le biais de la comédie, tout en laissant la place à l'émotion (voir notre critique). L'actrice, désormais aussi réalisatrice, revient avec nous sur ses intentions, aussi bien scénaristiques que visuelles, et sur la représentation de ses propres peurs à travers Le Procès du chien.
La première de votre film Le Procès du chien a eu lieu au Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard. Que retenez-vous de ce moment ?
C'était incroyable. J'étais tellement émue. J'avais peur que le public ne rit pas. Au montage, on a vraiment fait attention à ce que ce soit super simple à comprendre, même si ça va vite. Que ce soit toujours un peu potache, léger, mais pour parler de questions sérieuses. Pour cela, on a invité des gens dans la rue pour voir nos montages, pour tester les blagues et remonter le film derrière. De cette manière, on voulait que ce soit le plus populaire possible.
Le film est très drôle justement, sans être lourd ni facile. Comment décririez-vous votre approche comique ?
L'humour vient toujours de la situation. C'est pour ça que ce n'est pas un film absurde, c'est plutôt surréaliste. Ça part tout le temps de la situation, ici d'une femme avocate, avec des problèmes de voix, qui reçoit dans son bureau à maître un peu malvoyant et son chien. Le chien a mordu trois fois. Et a mordu une femme au visage. Cette femme porte plainte contre le maître parce que le chien est considéré comme une chose, et là on va rentrer dans la fiction au moment où cette avocate arrive à prouver que le chien n'est pas une chose et que le juge accepte de faire le procès du chien. Après, on suit la logique.
Cette intrigue principale est plutôt originale, et vous permet d'aborder de nombreux sujets. Quel était votre but premier ?
La base était de parler de la domination et de l'exploitation des êtres vivants, donc à travers un chien. Je cherchais le moyen de faire une comédie qui parle de ça, avec cette idée du rôle que l'art doit jouer dans le changement de mentalité. Et il y avait aussi l'envie de parler des femmes. Dans la question de l'exploitation, il y a des rapprochements entre les femmes et les chiens, il y a des choses en commun. Mais tout cela devait se faire dans une comédie libre qui change de ton tout le temps.
On sent aussi avec le personnage d'Avril l'envie de représenter une héroïne qui n'est pas sûre d'elle, mais reste très attachante et humaine. D'ailleurs, elle dit durant le film lorsqu'elle se voit à la télévision : "Quand est-ce que j'arriverais à parler comme je suis ?". C'est quelque chose qui sent le vécu.
Oui, je me vois en interview et c'est vrai que je me trouve souvent un peu "la petite maison dans la prairie". Je ne comprends même pas comment ça se fait, ni pourquoi. Souvent, j'ai honte même ! Donc voilà, ça vient de là.
C'est le déchirement entre les gens qui me fait peur
Au-delà de la comédie, Le Procès du chien représente une montée des extrêmes, de la haine et de la colère avec une population aussi impliquée que divisée au sujet de ce procès. Est-ce vos propres inquiétudes ?
Tout à fait. C'est le déchirement entre les gens qui me fait peur. Il y a des choses qui vont très vite, trop loin à travers les réseaux sociaux, à travers les prises de parole, des prises de position politique, qui font qu'on est déchiré et qu'on ne peut plus parler. Je fais des blagues avec, mais en vrai, ça me fait très peur. À mon sens, les choses ont changé depuis quatre, cinq ans. C'est de plus en plus fort et plus rapide. À Paris par exemple, il y a cette agression constante qui peut sortir de n'importe qui, à n'importe quel moment. Une femme de soixante ans peut d'un coup devenir super violente juste parce que les gens sont en train de craquer.
Ce que vous décrivez ne ressemble pas à la Suisse. Pourtant, c'est là que vous avez placé l'intrigue du film.
Ah non, en Suisse, il n'y a pas ça. Mais justement ce qui était cool c'était ce côté décalé par rapport aux lieux. Avec la Suisse, on ramène des couleurs, des looks de personnages qui font tendre vers la fable. Cela montre aussi qu'il ne faut pas prendre tout ça au premier degré.
En parlant des lieux, vous faites des vrais choix dans les décors, dans les cadres et donc dans la mise en scène. Ce qui fait que le film ne se repose pas uniquement sur des dialogues, mais sur une vision globale avec une volonté de réfléchir l'image.
Le premier boulot qu'on a fait, avant le tournage, c'était sur les couleurs. On voulait faire une comédie qui ne soit pas toute blanche ou sur-éclairée comme on en voit beaucoup. On voulait aussi montrer que les personnages ont eu des vies compliquées, car ils sont un peu exclus, ce sont des marginaux. Donc il fallait que ce soit bien contrasté pour qu'on puisse voir correctement les traits du visage. En conséquence, il fallait qu'on pousse les couleurs pour rapporter du vif de la comédie. C'est tout le travail esthétique qu'on a fait avant avec les équipes techniques, chef opérateur, étalonneur, costumière et la cheffe déco.
Après au niveau des cadres, c'est un peu venu au tribunal. On voulait que ce soit traité de façon super classique pour donner de la solennité à ce procès. La grosse inspiration pour ça c'était Autopsie d'un meurtre d'Otto Preminger. Ensuite, on a ajouté des choses comiques, notamment sur des plans en contre-plongée en déformant un peu les visages avec la courte focale. Mais je n'ai pas gardé tous ces plans au final.
Votre choix de casting est intéressant avec François Damiens et Jean-Pascal Zadi. Tous les deux maîtrisent l'humour, tout en étant dans des registres assez différents dans leurs propres projets. D'ailleurs, on retrouve chez le maître du chien un déguisement typique de François Damiens.
C'est lui qui a proposé ça et le fait de loucher. Mais ce n'est pas un déguisement. Il a louché lui-même pendant vingt jours de tournage, tout en jouant. Ce qui est hyper dur ! J'ai adoré l'avoir, ainsi que Jean-Pascal. Ils ont tous les deux un humour assez subversif à leur manière. Un humour un peu malaisant pour François, et Jean-Pascal est plus sur les rapports de classe et les préjugés.
ATTENTION SPOILERS
Pouvez-vous me parler de la fin du film et sur le verdict final qui n'offre pas à proprement parler une happy end.
Si je parle de notre rapport aux autres êtres vivants actuels, je ne peux pas faire une fin qui soit juste optimiste. Je n'ai pas à faire une fin qui soit uniquement pessimiste non plus. C'est un entre deux parce que, pour moi, dans les pertes, il y a toujours des gagnants. Et là, il y a deux gagnantes. Avril, qui a trouvé sa place. Et la femme attaquée au visage, qui se sert de l'argent du procès pour acheter des moutons et commencer une autre vie en travaillant avec un chien. On a deux femmes qui poussent, et il y a quelqu'un qui n'a pas passé la rampe, on va dire. À travers ça, on peut dire que je suis plus optimiste pour la cause féminine que pour la cause animale, ou plutôt écologique.