Sorti au cinéma le 15 février 2023, "L'Astronaute" raconte la mise en oeuvre du premier vol spatial amateur. Le projet fou d'un ingénieur en astronautique, forcément passionné d'espace et bien décidé à partir dans sa propre fusée. Si il apparaît à certains que c'est une folie, le film "L'Astronaute" est-il cependant réaliste ? Une question à laquelle a répondu Jean-François Clervoy, ancien astronaute français.
L'Astronaute, pas que du cinéma...
Dans le film L'Astronaute de Nicolas Giraud, un ingénieur en propulsion spatiale, Jim, construit en secret sa propre fusée. Pour y parvenir, il est aidé d'un ami, agriculteur et chimiste autodidacte, de sa grand-mère, d'un ancien astronaute et d'une jeune étudiante. Sur plusieurs années, en "empruntant" des pièces détachées, il élabore ainsi sa fusée dans une ferme, à l'insu de son employeur ArianeGroup. Cette histoire est-elle probable ? Peut-on construire ainsi un engin spatial ?
Si L'Astronaute est une fiction, Nicolas Giraud s'est néanmoins considérablement documenté et a travaillé avec l'ancien astronaute Jean-François Clervoy pour que ce récit soit le plus vraisemblable possible. Nous avons rencontré Jean-François Clervoy (vidéo en tête d'article), parti trois fois dans l'espace avec la NASA dans les années 90 et consultant sur ce film, qui a donc répondu à la question : le projet de Jim est-il réaliste ?
Rencontre
En tant qu'astronaute, ingénieur et spécialiste des vols spatiaux, quel est le degré de réalisme du film L'Astronaute ?
Jean-François Clervoy : En tant qu'un ingénieur en propulsion spatiale, Jim maîtrise la partie la plus difficile. L’accès à l’espace est plus dur que le vol orbital. Mettre au point une fusée est plus complexe que mettre au point un satellite. Des tas d’élèves-ingénieurs en école font des micro-satellites qui marchent très bien. Mais concevoir une fusée demande un savoir-faire et une expérience assez unique. Il se trouve que Jim est cet ingénieur, et comme toux ceux qui travaillent dans l’aéronautique, c’est un passionné. Dans les agences et les industries spatiales, tous sont des passionnés d’espace. Quand vous êtes passionné et que vous avez la compétence, vous pouvez accomplir des choses auxquelles vous ne pensiez pas au départ.
Ce qui est intéressant dans « L’Astronaute », c’est que c’est donc un ingénieur en propulsion spatiale qui rêve de construire son propre vaisseau. Il prend des années pour le faire, mais c’est réaliste. Il sait ce qu’il fait. On ne s’improvise pas « rocket scientist » !
Il faut évidemment avoir accès au matériel, et Jim qui travaille pour ArianeGroup a accès à des pièces détachées, petit à petit, sur plusieurs années, et c’est comme ça qu’il arrive à faire sa fusée.
L'Astronaute est donc réaliste sur le personnage de Jim et sur le processus de fabrication de sa fusée. Mais quel élément du film l'est le moins ?
Jean-François Clervoy : Il y a quelques aspects qui ne sont pas tout à fait réalistes, mais qui sont secondaires. Par exemple, lors de l’essai statique du lancement, on place normalement le personnel au sol à très grande distance. À plusieurs centaines de mètres en Russie, c’est même quelques kilomètres dans d’autres pays. Là ils sont à quelques dizaines de mètres, mais c’est pour que dans le plan on puisse tout voir à la fois. Dans la réalité, on prend plus de mesures de sécurité.
Il y a beaucoup de films dont le sujet de fond est l’espace. Parfois c’est juste le décor, pour une intrigue qui n’a rien à voir a priori avec l’espace. Chaque film a son réalisme sur certains aspects, et son irréalisme sur d’autres. En tout cas, sur l’émotion de réaliser son rêve, c’est sûr que « L’Astronaute » est très fort. Si on est un bon public, on pleure à la fin du film. C’est très fort.
Des films comme Interstellar, Apollo 13, Gravity, Seul sur Mars sont-ils réalistes ?
Jean-François Clervoy : Sur le plan de l'expérience opérationnelle, Apollo 13 reflète la réalité. Le film Seul sur Mars reflète lui l'aspect problem solving, chercher des solutions aux problèmes. On est formatés à ça. L'entraînement d'astronaute consiste à nous formater en des personnes qui ne vont pas se plaindre des problèmes mais être constamment dans la recherche de solutions.
Le film Gravity est extrêmement réaliste sur l'expérience sensorielle. La façon dont on fait voir la Terre, le ciel, le vaisseau, dedans, dehors, l'acoustique, dans le scaphandre, dans le vaisseau, à la radio, les mouvements d'apesanteur, c'est exactement ça.
Interstellar, en termes d'astronautique, de concept de "rendez-vous spatial" et de lois de la relativité générale, c'est assez bien fait. C'est difficile d'avoir une pédagogie pour expliquer les différences temporelles, mais c'est respectueux de ces concepts.
Et puis il y a 2001, L'odyssée de l'espace, qui m'a beaucoup marqué enfant, où il y a à la fois une recherche de réalisme, d'esthétique et de philosophie, de réflexions sur l'humanité et notre présence dans l'univers.