À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Comité d'Épuration du Cinéma interdit "Le Corbeau", chef-d'oeuvre d'Henri-Georges Clouzot. Dénonçant la délation et s'opposant donc aux pratiques louées par la Gestapo, le film se voit notamment reprocher de montrer que les habitants des petites villes françaises "ne sont plus que des dégénérés". Le long-métrage est diffusé ce soir sur Arte.
Le Corbeau : lettres anonymes et délation
Sorti en 1943, Le Corbeau se déroule dans une petite ville de province, où le docteur Germain (Pierre Fresnay) est visé par plusieurs lettres anonymes, accusé de pratiquer des avortements clandestins. Très vite, il s'aperçoit qu'il n'est pas le seul à recevoir des courriers similaires. Alors que la paranoïa gagne les habitants et que les tensions grandissent à Saint-Robin, le médecin décide de mener son enquête pour découvrir l'identité du "corbeau".
Ginette Leclerc, Héléna Manson, Pierre Larquey, Micheline Francey et Noël Roquevert complètent la distribution du film d'Henri-Georges Clouzot (L'Assassin habite au 21, Les Diaboliques). Le scénariste Louis Chavance s'inspire pour le long-métrage d'une affaire de lettres anonymes survenue à Tulle pendant cinq ans, à partir de 1917. Ces courriers mélangeant mensonges et faits avérés, en partie adressés à des fonctionnaires de la préfecture, dévoilent des infidélités ou encore la naissance d'enfants illégitimes. D'après le site de La Cinémathèque, Angèle Laval est reconnue coupable en 1922 et condamnée pour avoir envoyé plus de 1000 lettres avec la complicité de sa mère et de sa tante.
Un film interdit à la Libération
Lors de sa sortie, Le Corbeau rencontre le succès. Mais à la Libération, le long-métrage est interdit en France, étant donné qu'il a été financé par une société de production allemande, La Continental. Avant le tournage, son patron Alfred Greven prévient Henri-Georges Clouzot, comme ce dernier le rapporte devant le Comité d'Épuration du Cinéma à la fin de la Seconde Guerre mondiale :
C'est un film extrêmement dangereux.
Informée de la production du long-métrage, la Gestapo interdit le matériel publicitaire autour du Corbeau, qui dénonce la délation et les lettres anonymes, pratiques utiles pour la police politique du Troisième Reich. Néanmoins, la distribution du film a tout de même lieu en France.
Puis, en mars 1944, dans le premier numéro de L'Écran Français, revue publiée par le Comité de Libération du Cinéma français, un article reproche à Henri-Georges Clouzot et Louis Chavance de "montrer que les habitants de nos petites villes ne sont plus que des dégénérés, mûrs pour l'esclavage". En septembre 1944, Henri-Georges Clouzot est suspendu par le Comité, au même titre que six autres cinéastes ayant travaillé pour la Continental. De son côté, Christian-Jaque (Fanfan la Tulipe) fait partie des épurateurs alors qu'il a signé deux longs-métrages pour la société de production.
Une réhabilitation à partir de 1947
Face à de telles incohérences et de telles injustices, Henri-Georges Clouzot peut compter sur une vague de soutien. Des résistants témoignent par exemple de l'aide qu'il leur a apportée. Lorsque Le Corbeau est interdit en octobre 1944, une pétition initiée entre autres par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir s'indigne du traitement réservé au film et à son réalisateur. Les cinéastes Jacques Becker, Marcel Carné, Claude Autant-Lara ou encore René Clair soutiennent également leur confrère.
Henri-Georges Clouzot est autorisé à reprendre le travail en 1947. Après le tournage de Quai des Orfèvres, l'interdiction autour du Corbeau est levée soudainement alors que le nouveau film du cinéaste doit être présenté à Venise. La réhabilitation du chef-d'oeuvre de 1943 commence...