Pour "Le Daim", Quentin Dupieux compose un très beau duo de cinéma avec Adèle Haenel et Jean Dujardin. Mais sa collaboration avec l'actrice, finalement fructueuse, a commencé par des frictions et aurait pu ne jamais aboutir.
Le Daim : Jean Dujardin et Adèle Haenel dans un délire horrifique
Dans la filmographie unique qu'a constituée Quentin Dupieux, il y a un film d'horreur. Le Daim, sorti en 2019, avec Jean Dujardin et Adèle Haenel, a en effet été pensé et fabriqué dans cette perspective. De cette histoire qui part d'un argument a priori grotesque - un homme qui veut être le seul à porter un blouson dans le monde -, Quentin Dupieux tire une sensation étrange, une poésie absurde et effrayante qui s'amuse avec les codes du slasher et de l'épouvante. Dans le rôle de Georges, un homme qui se plonge entièrement dans sa solitude et parle à son blouson en daim - qui lui donne "un style de malade"-, Jean Dujardin sort une de ses meilleures performances.
Face à lui, Adèle Haenel joue Denise. Une passionnée de cinéma et de montage qui vit dans un coin paumé, et qui va suivre Georges et son idée obscure de tourner un film avec sa petite caméra. Le duo Georges - Denise fonctionne très bien. Un alliage de deux solitudes, entre vrais collègues d'un faux projet et faux amants habités d'un désir étrange. Jean Dujardin raconte avoir foncé et dit "oui" dès sa rencontre avec Quentin Dupieux et le pitch du film. Mais ça n'a pas été aussi simple concernant Adèle Haenel. Si celle-ci est actrice, elle n'est cependant pas à vendre. Et c'est avec une grande rigueur qu'elle étudie les propositions qui lui sont faites. Dès ses premiers échanges avec le réalisateur, il s'en est ainsi fallu de peu qu'Adèle Haenel ne quitte immédiatement le projet.
"Si tu ne veux pas faire le film, ne le fais pas."
Elle n'en a jamais fait mystère. Pour Adèle Haenel, tout est politique, et dans les causes qu'elle défend le féminisme est au premier rang. Elle ne transige pas sur certaines représentations, ce qui a valu au réalisateur et à l'actrice un début de collaboration très compliqué. Elle le racontait ainsi dans une interview accordée au journal Le Monde pendant le Festival de Cannes 2019.
On ne vient pas du même endroit. On n'a pas les mêmes priorités politiques. Ce que j'aime chez lui, c'est le sens de l'absurde, ce cinéma du délire. Mais disons qu'il a un problème au niveau des représentations de personnages féminins. Et entre nous ça a commencé très rodéo. (...)
Je lis le scénario, et j'écris à Dupieux que ça ne va pas, qu'il faut changer le personnage. Lui s'énerve : "Si tu ne veux pas faire le film, ne le fais pas." Au final, il m'a écoutée, j'ai transformé le personnage. J'ai retiré les "Je t'aime", les "Tu es trop fort", les roulages de pelle de la meuf transie.
Adèle Haenel a tenu bon et eu gain de cause. En effet, il apparaît bien à l'image que Denise n'est pas "bêtement" amoureuse de Georges. Si plane une vague attirance, celle-ci est cependant inexpliquée et inexplicable, et c'est ce qui fait toute la saveur complexe de leur duo. Pourquoi le suit-elle ? Quel est son propre projet ? En sortant son personnage du cliché de la fan girl, l'actrice a rendu service au film en développant encore plus son étrangeté. Un terrain d'entente fertile pour l'actrice qui peut ainsi conclure : "Je crois qu'on est tous les deux contents du résultat."