Le Fil : Daniel Auteuil livre un thriller judiciaire aussi captivant que perturbant

Le Fil : Daniel Auteuil livre un thriller judiciaire aussi captivant que perturbant

CRITIQUE/AVIS FILM - Présentée au Festival de Cannes 2024, la nouvelle réalisation de Daniel Auteuil "Le Fil" est un excellent film de procès et de thriller judiciaire, avec une finesse de vue renversante et un casting très inspiré.

Le grand cinéma de Daniel Auteuil

Titulaire d'une très riche filmographie en tant qu'acteur, couronnée de plusieurs prestigieuses récompenses, Daniel Auteuil n'avait jusque-là pas connu autant de succès avec ses réalisations. Après trois adaptations de l'oeuvre de Marcel Pagnol (La Fille du puisatier, Marius et Fanny) et une adaptation d'une pièce de Florian Zeller (Amoureux de ma femme), le voici au cinéma avec une oeuvre originale, dramatique, sombre et très réussie : Le Fil.

Le Fil ayant été développé et produit sur trois ans, Daniel Auteuil ne pouvait pas savoir que le genre du film de procès made in France connaîtrait une année 2023 fantastique avec Anatomie d'une chute et Le Procès Goldman. Appartenant à une autre génération et à un autre cinéma que ceux de Justine Triet et Cédric Kahn, l'ambition apparaît alors presque téméraire à proposer le récit d'un procès de féminicide et de son troublant accusé, défendu par un avocat convaincu de son innocence.

Le Fil
Le Fil ©Zinc.

Portrait(s) terrible(s) de notre société

Dans Le Fil, l'avocat pénaliste Jean Monier (Daniel Auteuil) n'a pas pris de dossier de meurtre depuis plusieurs années et l'acquittement d'un de ses clients, coupable et qui récidivera. Mais le cas de Nicolas Milik (Grégory Gadebois), principal suspect du meurtre de sa femme, Cécile, l'intrigue et le touche. Remplaçant au pied levé sa compagne pour la première garde à vue de Nicolas Milik, il décide de le défendre. Ce faisant, il va retrouver sa vocation et le sens de son métier, tout en flirtant dangereusement avec le vice de procédure. Homme en apparence simple et enfantin, pas loin du benêt, Nicolas Milik ne lui apparaît pas coupable. Mais pas totalement innocent non plus. Jean Monier va alors explorer ce doute, convaincu que la vérité doit être établie à sujet de cette terrible affaire - inspirée d'une histoire vraie et d'après un écrit du regretté Maître Mô.

Avec sobriété, l'écriture et la mise en scène s'appliquent à peindre des portraits serrés des différents acteurs de l'affaire. Il y a Nicolas Milik, criant son innocence et pleurant de ne plus voir ses enfants. Aussi, son ami Roger (Gaëtan Roussel) au profil effrayant, ancien militaire alcoolique qui aime les couteaux et est considéré comme son complice dans la procédure. Il y a Audrey (Aurore Auteuil), soeur de Cécile, convaincue de la culpabilité de Nicolas. Il y a évidemment Jean Monier lui-même, avocat expérimenté qui va paradoxalement intensifier sa défense sincère de Milik alors que tout indique qu'il est coupable.

Un jeu de perspectives captivant

Captivant, Le Fil ne verse jamais dans le sensationnalisme ou dans les effets de manche qui font le spectacle des prétoires. Le Fil raconte le mal ordinaire, la terrible banalité du féminicide, dans un territoire de province monotone, loin des procès colorés et très médiatiques des métropoles. Daniel Auteuil y fait preuve d'une rigueur admirable : puisque le film débute au lendemain du meurtre de Cécile, on ne verra ni n'entendra jamais celle-ci. Ce n'est ainsi que dans le récit qu'en font les autres, particulièrement Nicolas, son avocat, Audrey et l'avocate générale Adèle (Alice Belaïdi), que la victime se dessine.

Le Fil
Le Fil ©Zinc.

Tout est question de points de vues, de discours qui s'opposent et de subjectivités qui s'affrontent. Et c'est là que Le Fil se révèle étonnamment très pertinent et visionnaire. Étonnamment, parce que Daniel Auteuil ne l'a pas caché, il souhaitait avant tout raconter l'histoire d'un avocat et exploiter le décor d'un tribunal. Acteur principal de son thriller judiciaire, c'est effectivement sur son parcours et sa performance que Le Fil se concentre. Mais ce faisant, embarqué dans la subjectivité de l'avocat, le film se révèle en creux extrêmement critique de la masculinité, de la toute-puissance revendiquée par les hommes et de leur loyauté malsaine.

Finalement, il n'est pas question de savoir pourquoi et comment cette femme est morte, mais pourquoi et comment elle a été tuée par un homme. À la manière de Xavier Legrand dans Le Successeur, ce n'est pas la victime qui est le moteur du récit dramatique, mais bien le meurtrier et son "camp". Autrement dit, l'explication n'est pas à trouver du côté de Cécile, décrite par les hommes comme une mère indigne, alcoolique et invivable, mais bien chez ceux-là mêmes, ces hommes qui l'accablent. Et c'est brillant.

Les hommes conduits à la barre

Grégory Gadebois, dans le registre du nounours timide et mal à l'aise dont il est un maître, livre une performance idéale à défaut d'être très originale. Le chanteur et acteur Gaëtan Roussel, dans le rôle du terrifiant Roger, est parfait. Et Daniel Auteuil, ce n'est pas une surprise, excelle dans son rôle d'un avocat bien trop sûr de son fait.

Tout n'est pas totalement abouti, et ça et là quelques petites longueurs se passent. Mais Le Fil captive, passionne même, sur une durée assez courte pour ne jamais ennuyer son public. Et réserve une fin formidable, jouant un contrepoint royal et d'une cruauté très audacieuse. S'il n'atteint pas les sommets d'écriture d'Anatomie d'une chute et la mise en scène exceptionnelle de Le Procès Goldman, Le Fil parvient néanmoins à dévoiler - peut-être en partie involontairement - un inconscient terrible de la population masculine sur leur domination et leur rapport au féminicide. Hasard douloureux du calendrier, en pleine affaire Dominique Pélicot, Le Fil touche en plein coeur et ne pouvait pas être plus à propos. Daniel Auteuil se révèle alors, cette fois-ci et on le souhaite encore pour la suite, être un très bel auteur de cinéma.

Le Fil de Daniel Auteuil, en salles le 11 septembre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

Dans un genre de cinéma dans lequel on ne l'attendait pas en réalisation, Daniel Auteuil réussit avec "Le Fil" un thriller judiciaire captivant, émouvant, et d'une pertinence surprenante. Les performances du casting principal sont admirables, pour un excellent film qui travaille longtemps le coeur et la tête. À voir sans hésiter.

Note spectateur : 3 (1 notes)