En 1988, Luc Besson s'installe au sommet du cinéma international grâce à son film "Le Grand Bleu". Film personnel, ode à la liberté et à la mer, il y dirige Jean-Marc Barr et Jean Reno dans les rôles mémorables de deux apnéistes rivaux. Si Jean Reno travaillera de nouveau avec Luc Besson, notamment pour "Léon", c'est tout le contraire pour Jean-Marc Barr qui refuse en bloc l'héritage du film et prend le contrepied absolu de ce genre de cinéma.
Le Grand Bleu, histoire d'un film culte
Jean-Marc Barr est pour l'éternité associé au grand film de Luc Besson Le Grand Bleu. Cette ambitieuse production internationale, sortie en 1988, a d'abord reçu un accueil très froid du public et de la presse lors de sa présentation au Festival de Cannes. Mais lors de sa sortie dans les salles françaises, les critiques sont meilleures et il trouve son public avec plus de 9 millions d'entrées. À partir de là, le mythe est en marche. Et s'il ne rencontre pas immédiatement le succès à l'étranger, Le Grand Bleu gagne vite son statut de film culte et de grand film des années 80.
Grand succès de Luc Besson, peut-être son film le plus personnel, ce film qui met en vedette Jean Reno et Jean-Marc Barr concentre tous les éléments de la recette à succès Besson : notamment une musique d'Eric Serra, une narration basée sur la succession de séquences marquantes - la cohérence et la temporalité étant alors secondaires, le fameux travelling d'ouverture, des personnages charismatiques et touchants.
Film chéri de toute une génération, il est pour Jean-Marc Barr une étape très importante dans sa carrière mais néanmoins une expérience à oublier. Si ce film l'a révélé au monde entier, lui-même a vécu une révélation contradictoire qui l'a éloigné à tout jamais du chemin pourtant tracé par le film.
Le refus de devenir une icône "masturbatoire"
En effet, Jean-Marc Barr n'aime pas Le Grand Bleu, et il ne l'a jamais vraiment aimé. Pas d'aigreur ou de regrets rétrospectifs, mais un rejet quasi immédiat de la popularité du film et surtout de son personnage. Il y incarne Jacques Mayol, grand apnéiste français dont la rivalité avec l'italien Enzo Maiorca fut célèbre. Ce dernier est interprété par Jean Reno dans le film de Luc Besson - et renommé pour l'occasion Enzo Molinari. Jean-Marc Barr n'était pas le premier choix du réalisateur, celui-ci désirant d'abord Christophe Lambert, puis Gérard Lanvin, puis encore Mel Gibson. Avant finalement de trouver l'acteur franco-américain de 28 ans, et encore inconnu du grand public.
Il faut dire que la beauté de Jean-Marc Barr est alors évidente, sculpturale, d'une pureté qui va parfaitement avec le caractère naïf voire autistique du personnage du film. Magnétique, hypnotique, sans avoir à dire un mot, Jean-Marc Barr est sublimé par la mise en scène de Luc Besson. D'inconnu, et malgré le premier échec international du film, il devient une star mondiale. Plutôt que de lui mettre le pied à l'étrier de la grande célébrité, cela va le désarçonner.
Complètement dépassé par sa popularité soudaine, Jean-Marc Barr devient l'objet de toutes les convoitises. Objet fantasmatique, mannequin idéal, tombeur de Rosanna Arquette dans le film, il peut devenir une icône glamour de premier plan. Il s'y refuse immédiatement, rejetant entièrement cette fabrication d'icône voulue par Luc Besson. Selon les termes même de l'acteur, rapportés dans le livre "Luc Besson : l'homme qui voulait être aimé. La biographie non autorisée" (Flammarion, 2016), il rejette donc ce film
qui l'a propulsé en icône et objet de masturbation pour jeunes filles.
Lors de notre rencontre avec Jean-Marc Barr pour le film La Particule humaine (à voir ci-dessous), l'acteur nous avait accueilli chez son ami et collaborateur Pascal Arnold, au coeur de Paris. Un appartement exigu dans lequel Jean-Marc Barr avait nonchalamment étalé ses quelques affaires de voyage. Comme il le disait, il aimait vivre ainsi, sans possessions inutiles ou qui l'attacheraient à un endroit précis. Pas d'appartement, pas de voiture, pas de crédit, il est tout à l'inverse de beaucoup de ses confrères et consoeurs qui ont connu le succès et l'ont investi dans une richesse matérielle. Jean-Marc Barr recherche une autre richesse, et il s'en aperçoit dès la sortie du film Le Grand Bleu.
Trop haut, trop tôt ? Vu précédemment dans Le Roi David et La Guerre à sept ans, le changement de statut ne va pas à l'acteur. En plus de refuser cette nouvelle identité de superstar et d'icône glamour, Jean-Marc Barr va aussi regretter le portrait de Jacques Mayol que fait le film. Globalement, il trouve que le film trahit même la philosophie de vie et la pratique de l'apnée selon Jacques Mayol, proposant même à un journaliste cette définition du film de Besson : "c’est l’histoire d’un type confus qui a transféré son homosexualité latente sur un poisson."
Les différences entre le personnage du film et Jacques Mayol
Le torchon brûle vite entre Luc Besson et Jean-Marc Barr. Le premier se vexe de l'attitude du second, qui ne s'est pas fait prier pour raconter tout le mal qu'il pensait du film. Comme il le rapportait au Parisien en 2018, il n'a jamais vu Le Grand Bleu en entier, et quand il a essayé de le revoir, il n'est pas allé au bout, le trouvant "trop juvénile". Mais plus profondément, c'est le rapport à Jacques Mayol qui l'a beaucoup touché, un rapport insincère qui a beaucoup fait souffrir le célèbre apnéiste, qui s'est donné la mort en 2001. Surpris par le succès du film, celui-ci avait tenté de réviser le contrat pour pouvoir en bénéficier financièrement, ce qui a refroidi ses relations avec Luc Besson.
L'autre apnéiste présent dans le film, Enzo Molinari - en réalité Enzo Maiorca -, rival historique de Jacques Mayol, attaque lui Besson en diffamation et juge sa représentation dégradante, à tel point que l'Italie interdit la projection du film pendant 14 ans.
Le personnage que j'ai joué n'était pas le vrai Jacques Mayol. La popularité du film a éclipsé sa propre personnalité. C'était très lourd à porter pour lui. On parlait de Jacques Mayol et on me voyait moi. Pour lui c'était insupportable. (...) Les deux documentaires auxquels j'ai participé, c'est une façon de rétablir la vérité. Je veux parler du mec qui inspiré ce film alors que l'identité de Jacques a été sacrifié.
C'est ainsi qu'en 2018 il prête sa voix au documentaire L'Homme dauphin de Lefteris Charitos, qui dresse un portrait plus authentique de Jacques Mayol. Au sujet de ce documentaire, l'acteur franco-américain le redit : "j’ai été témoin de la souffrance et de la frustration que lui a causé la popularité du film. Quand un être humain se voit dépossédé de son histoire et de la magie qu’il a créée, c’est une petite tragédie".
L'anti-cinéma hollywoodien
La gloire atteinte, aussitôt Jean-Marc Barr en prend congé. Il se fait sourd aux chants des sirènes hollywoodiennes et tourne en 1991 dans Le Brasier d'Éric Barbier. Puis il enchaîne avec Europa de Lars Von Trier. C'est une rencontre importante pour l'acteur, qui deviendra un collaborateur fétiche du cinéaste danois avec sa participation à sept de ses films. Nicole Garcia, Christophe Honoré, James Ivory... Jean-Marc Barr s'est construit une filmographie éclectique, loin de la grande industrie à laquelle Le Grand Bleu l'avait pourtant destiné.
Vu dernièrement dans Garçon chiffon de Nicolas Maury, dans son propre rôle, Jean-Marc Barr s'est choisi une carrière de choix artistiques forts et souvent engagés, comme dans La Particule humaine, fable post-apocalyptique turque ancrée dans une profonde réflexion environnementale.