Avant "Lawrence d’Arabie", David Lean signe un autre long-métrage extrêmement ambitieux avec "Le Pont de la rivière Kwaï". Un film de guerre dont le tournage a été marqué par de nombreux rebondissements, dont l’issue s’est parfois avérée tragique.
Le Pont de la rivière Kwaï : opération sabotage
Lors d’un voyage entre Paris et Londres en 1954, Sam Spiegel s'attarde sur les critiques élogieuses d’un roman de Pierre Boulle, Le Pont de la rivière Kwaï. Le producteur d’African Queen et de Sur les quais lit l’ouvrage du futur auteur de La Planète des singes pendant son trajet et, conquis, décide d’en acheter rapidement les droits d’adaptation.
Sam Spiegel confie la réalisation du long-métrage à David Lean, duquel il a notamment apprécié Les Grandes espérances et Brève rencontre. Avec ce film, qui relate de façon romancée un épisode de la Seconde Guerre mondiale, le cinéaste signe une superproduction extrêmement ambitieuse, sur laquelle il fait preuve d’une exigence hors norme et qui annonce de futurs œuvres titanesques comme Lawrence d’Arabie et Le Docteur Jivago.
Le Pont de la rivière Kwaï s’ouvre dans un camp de prisonniers de guerre en Birmanie, tenu par le commandant Saïto (Sessue Hayakawa). Après l’arrivée de soldats britanniques menés par le colonel Nicholson (Alec Guinness), il les charge de bâtir un pont sur "la Voie de la mort", qui relie la Thaïlande à la Birmanie et sur laquelle un train doit passer. Ne souhaitant pas servir les intérêts de l’ennemi, Nicholson refuse dans un premier temps, avant d’accepter en constatant l’effet positif de la construction sur ses troupes.
Un autre détenu, le commandant américain Shears (William Holden), parvient à s’échapper et à informer les Alliés du projet de Saïto. Il se voit alors affubler d'une mission : détruire à tout prix le pont, avec l’aide d’une escouade dirigée par le commandant Warden (Jack Hawkins). Sorti en 1957, ce long-métrage opposant plusieurs visions du conflit et dénonçant son absurdité remporte sept Oscars, dont ceux de Meilleur film, Meilleur réalisateur et Meilleur acteur pour Alec Guinness.
Un tournage marqué par plusieurs accidents
La production du Pont de la rivière Kwaï est semée d’embûches. Outre la nature tyrannique de David Lean, qui va jusqu’à parcourir 250 kilomètres pour filmer un coucher de soleil et ne fait pas vraiment preuve de tendresse à l'égard de ses comédiens, l’équipe doit faire face aux fortes précipitations, à la chaleur écrasante et à l’humidité étouffante du Ceylan – devenu le Sri Lanka en 1972.
Entre novembre 1956 et mai 1957, plusieurs accidents surviennent. L’assistant réalisateur John Kerrison meurt dans un accident sur une route peu praticable, au cours duquel un maquilleur est également blessé. Un caméraman est par ailleurs victime d’un accident de moto, tandis que des figurants du camp de prisonniers (parmi lesquels des hommes d’affaires, bijoutiers et autres marins de l’île engagés par Sam Spiegel) souffrent d’insolation.
Un cascadeur évite quant à lui la noyade dans les rapides de la rivière Kelani. L’acteur Geoffrey Horne, qui prête ses traits à un jeune membre du commando américain, se blesse dans ces mêmes rapides, qui lui causent de profondes entailles sur les jambes.
Un décor colossal
Une nuit, un camion transportant de l’essence et ayant pris feu manque de gâcher plusieurs mois de travail. Le conducteur réussit à s’extirper du véhicule enflammé en sautant, mais ce dernier poursuit sa trajectoire en direction du pont. Des hommes de l’armée ceylanaise le détournent de justesse et l'orientent vers un ravin avant qu’il n’explose dans la rivière.
Pour bâtir le décor colossal, huit mois de travail et l’abattage de 1500 arbres sont nécessaires. Le pont fait 130 mètres de long pour 28 mètres de hauteur. Sam Spiegel le décrit à l’époque comme la construction la plus importante jamais réalisée pour un long-métrage, pour la somme de 250 000 dollars. Plutôt que de détruire une miniature en studio, le producteur tient à le faire véritablement sauter pour le final spectaculaire, avec l’aide d’experts britanniques des Industries Chimiques Impériales. Cité dans des notes de production recueillies pour une édition DVD, il déclare à propos de cette décision :
L’authenticité est nécessaire pour véhiculer l’expérience émotionnelle d’une histoire. Il est possible de simuler cette expérience dans un studio hollywoodien mais cela ne susciterait pas la même émotion auprès du public.
Le jour J, une erreur humaine ruine presque les prises de vues de la séquence. Dans la précipitation, un caméraman oublie d’appuyer sur un bouton pour signaler qu’il est à l’abri avant le déclenchement des explosifs, alors que le train censé traverser le pont est en marche. Par mesure de sécurité, l’éclat n’a donc pas lieu. Pendant une journée et une nuit de dur labeur, l’équipe doit donc tout remettre en place. Le lendemain matin, le tournage de la conclusion épique et tragique peut enfin se dérouler sans accroc.