Réalisé par Henri-Georges Clouzot, "Le Salaire de la peur" (1953) fut extrêmement compliqué pour le réalisateur et son équipe. Entre maladies, grèves de figurants, blessures et tempêtes de pluie...
Le Salaire de la peur, chef-d'œuvre d'Henri-Georges Clouzot
Henri-Georges Clouzot aura été un des réalisateurs français les plus marquants de son époque. Si on retient aujourd'hui particulièrement Les Diaboliques (1955) et La Vérité (1960), ses premières œuvres L'Assassin habite au 21 (1942), Le Corbeau (1943), Quai des Orfèvres (1947) et Manon (1949) sont tout aussi notables. Cependant, ce n'est pas avec ces films qu'il fut le plus récompensé, mais avec Le Salaire de la peur (1953), qui remporta la même année la Palme d'or du Festival de Cannes (appelée à l'époque Grand prix) et l'Ours d'or au Festival de Berlin, puis le Prix Méliès (remis par le Syndicat français de la critique de cinéma) et le BAFTA du meilleur film.
Adapté du roman de Georges Arnaud (1950), et dont William Friedkin tirera Sorcerer en 1977, Le Salaire de la peur se déroule à Las Piedras en Amérique centrale. Un lieu pauvre, où des étrangers exilés noient leur ennui et rêve de revenir dans leur pays. Mais dans cette ville de misère, le travail est plus que rare. Jusqu'au jour où un puit de pétrole situé à plusieurs centaines de kilomètres prend feu. La compagnie SOC propose alors deux mille dollars à ceux qui accepteront de participer à une mission périlleuse : conduire un camion rempli de nitroglycérine pour créer une explosion qui éteindra l'incendie.
Avec cet explosif particulièrement instable, sur une route aussi compliqué, les chances d'y parvenir sont bien maigres. Pourtant, quatre hommes vont accepter, motivés par l'argent. Parmi eux Mario (Yves Montand), un petit voyou qui drague dès qu'il en a l'occasion la serveuse Linda (Véra Clouzot, compagne du réalisateur). Et Jo (Charles Vanel), également loin d'être un sain et cherche toujours à éviter la police.
Un tournage qui vire au cauchemar
Si Le Salaire de la peur est une œuvre particulièrement sombre et dure, son tournage ne fut pas plus joyeux. D'abord, malgré son désir de filmer en Amérique central, Clouzot n'eut d'autre choix que de déplacer finalement le tournage du film dans le Gard. Aller sur le continent américain étant trop cher, tandis que la possibilité de se rendre en Espagne fut refusée catégoriquement par Yves Montand - en raison du régime franquiste. Direction la Camargue donc et une préparation de dix mois qui n'empêchera pas une quantité de problèmes pour Clouzot.
Il y a d'abord ses conflits avec Yves Montand, dont l'accent marseillais insupporte Clouzot. Comme raconté par Samuel Blumfeld dans son article du Monde :
Le réalisateur doit multiplier les prises avec Montand, comme d’ailleurs avec son épouse, Véra. Le chanteur souffre de la comparaison avec Charles Vanel, qui n’a jamais besoin de plus de deux prises.
Puis viennent les problèmes météorologiques. Alors qu'habituellement la pluie se faire rare en Camargue, cette année 1951, elle tomba pendant quarante jours d'affilés. Des trombes d'eau qui abîment inévitablement les décors et provoquent des dégâts matériels avec notamment des grues qui s'effondrent. Le tournage du Salaire de la peur est donc en pause et pour patienter toute l'équipe se réfugie dans un hôtel de Nîmes.
C'est durant cette période que Véra Clouzot tombe malade. Puis, c'est au tour du réalisateur de se blesser à la cheville. Avant que les figurants gitans ne se mettent en grève. Tout un symbole, alors que le tournage se déroule majoritairement à Saliers, sur un ancien camp d'internement des "nomades" ou 700 Roms, Tziganes et Roms sont décédés entre 1942 et 1944.
La folie de Clouzot
La production a déjà largement dépassé son budget initial pour filmer seulement une demi-heure de film. Après sept mois d'arrêt, le tournage reprend finalement en juin 1952. C'est sur cette période que les séquences les plus délicates du Salaire de la peur sont tournées. Et avec le désir de réalisme de Clouzot, la production n'est pas loin de virer au drame. Comme en filmant l'explosion du rocher à coup de TNT et dont les débris retombent sur l'abri du cameraman. Ou lorsque, pour mettre en scène l'incendie du puit de pétrole, le réalisateur crée des flammes de cinquante mètres de haut qui "au moindre coup de mistral pourraient faire flamber toute la région".
Mais la séquence la plus compliquée, du moins pour Charles Vanel, restera celle où l'acteur s'enfonce dans un trou rempli de pétrole. Pour obtenir un tel résultat, Clouzot n'y va pas par quatre chemins et réclame du vrai pétrole. Toujours dans Le Monde, Samuel Blumenfeld rappelle les propos du comédien à ce sujet :
J’avais une douche en plein air à proximité pour me défaire de ça dès que le tournage était fini. Mais comme la scène était longue et que j’étais mazouté jusqu’à ce que Montand me débarque en macchabée au bout de sa course, j’ai été dans le pétrole durant des jours.
Le tournage infernal du Salaire de la peur se termine finalement le 3 novembre 1952. Clouzot a alors dépassé son budget du double, mais le résultat est à la hauteur. Outre les récompenses, c'est surtout les sept millions de spectateurs qui permettront à la production de se refaire.