À l'occasion de la présentation du film "Les Engagés" au Festival de Saint-Jean-de-Luz, nous avons rencontré la réalisatrice Émilie Frèche et le comédien Benjamin Lavernhe. Ils ont évoqué l'ambition politique de ce drame touchant, l'aspect personnel du projet et l'angle singulier avec lequel il traite le sujet des exilés.
Les Engagés : un drame inspiré d'une histoire vraie
Premier long-métrage de l'écrivaine et scénariste Émilie Frèche, Les Engagés s'inspire de l'histoire vraie des "7 de Briançon". En décembre 2018, la justice condamne ces militants âgés de 22 à 52 ans pour avoir facilité l'entrée de réfugiés en France lors d'une manifestation organisée quelques mois plus tôt contre les actions du groupuscule Génération identitaire.
Les peines vont alors de six mois de prison avec sursis à douze mois de prison dont quatre ferme, pour deux membres également poursuivis pour rébellion. Trois ans plus tard, en septembre 2021, ils sont finalement relaxés par la Cour d'appel de Grenoble, qui revient sur la décision du tribunal correctionnel de Gap.
S'il fait donc écho à cette affaire, Les Engagés raconte surtout le parcours fictif de David, incarné par Benjamin Lavernhe. Sur la route de Briançon, ce kinésithérapeute percute Joko (Youssouf Gueye), un exilé sur le point de se faire arrêter par les gendarmes. David et sa compagne Gabrielle (Julia Piaton) l'aident à se cacher dans le coffre de leur voiture et l'accueillent chez eux, avant de le conduire dans un refuge géré par Anne (Catherine Hiegel) et plusieurs autres militants.
David se rallie rapidement à leur cause, participant notamment à des maraudes, ce qui attire l'attention des forces de l'ordre. Lorsque Joko disparaît alors que ses démarches administratives bloquent, il se démène pour retrouver l'adolescent et son investissement bouleverse sa vie, ainsi que celle de ses proches.
Un projet très personnel pour Émilie Frèche
Pour la présentation du film au Festival de Saint-Jean-de-Luz, nous avons rencontré Émilie Frèche et Benjamin Lavernhe. La réalisatrice s'est confiée sur le point de départ très personnel de ce projet :
J'étais en colère de me dire que des gens qui font vivre la fraternité se retrouvent derrière les barreaux. Donc je suis allée sur place, j'ai eu envie de comprendre la situation. Je suis tombée très amoureuse de la région. Il y a vraiment le désir de filmer ce territoire.
Et puis, mais je m'en suis rendue compte plus tard, sans doute la question de la désobéissance et cette capacité à dire non, très héroïque, très courageuse, qui m'impressionne beaucoup parce qu'elle fait aussi partie de mon histoire personnelle. Mes grands-parents ont été sauvés par des gens qui leur ont fourni des faux papiers. Ils ont passé des frontières, avec des gens qui les ont aidés justement. Finalement, ce sujet-là, je pensais qu'il était très loin de moi et en fait il était tout près.
Benjamin Lavernhe a quant à lui été très attiré par "le trajet" de David, personnage auquel il s'est identifié :
Ça m'intéressait beaucoup de voir comment la cellule familiale, quand le drame tape à votre porte, est impactée. Chimiquement, ce qui se passe, comment les œillères tombent, et comment il s'y prend mal. J'ai trouvé que c'était rare. De prendre ce sujet, qu'on a pu voir au cinéma, de le prendre à cet endroit-là, de ce jeune qui n'est pas militant, qui n'est pas engagé, et comment il explose. C'est magnifique, c'est périlleux, c'est dangereux, la peur est là alors qu'elle ne devrait pas…
Une véritable ambition politique
Selon le comédien, Les Engagés "n'est pas manichéen" et n'est pas "juge". Il a pour vocation de "montrer une absurdité" :
Des gens meurent et à partir du moment où des gens meurent, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur situation, il faut leur venir en aide. Et si leur venir en aide devient un délit et qu'on a peur de venir en aide aux autres et qu'il vaut mieux les laisser tomber, alors là c'est impossible à supporter.
Émilie Frèche a poursuivi :
Il faut être capable de montrer un exemple digne à ses enfants. On a écrit dans notre devise républicaine le mot "fraternité". Qu'est-ce qu'on en fait ? On doit être raccord avec ça.
À propos de l'impact politique que peut avoir le long-métrage, la cinéaste nous a expliqué :
L'objectif qu'on s'est fixé, c'est de faire évoluer le statut des mineurs isolés justement. On a la chance d'avoir embarqué sept associations partenaires sur le film, qui vont rédiger une tribune au moment de la sortie. On a une projection au Parlement européen. L'idée c'est d'éveiller les consciences, c'est que les gens sortent du film en se disant que c'est important de faire quelque chose. Là sur la question des mineurs, il y a plein de choses à faire. On a monté un site qui s'appelle Les Engagés - Le film, et il y a la possibilité, chacun à son niveau, d'avoir cette démarche de s'engager.
Les Engagés est à découvrir au cinéma dès le 16 novembre 2022.