Dans "Les Proies", Clint Eastwood incarne un soldat blessé qui se réfugie dans un pensionnat féminin. Un rôle complexe et ambigu, qui serait en partie responsable de l'échec du film dans les salles américaines selon l'acteur.
Les Proies : les liaisons dangereuses
Première adaptation du roman éponyme de Thomas Cullinan, Les Proies offre à Clint Eastwood l'un de ses rôles les plus troubles. Pour cette collaboration avec le réalisateur Don Siegel sortie après Sierra Torride mais avant L'Inspecteur Harry et L'Évadé d'Alcatraz, le monstre sacré prête ses traits à John MacBurney, soldat nordiste que le spectateur découvre au bord de la mort.
Alors que la guerre de Sécession touche à sa fin, MacBurney est secouru par une adolescente, qui l'aide à se réfugier dans son pensionnat sudiste. Reprenant progressivement des forces, il se met à séduire la directrice Martha (Geraldine Page), son assistante Edwina (Elizabeth Hartman) et la jeune Carol (Jo Ann Harris). Un jeu de manipulation qui provoque des jalousies au sein de l'établissement. Peu à peu, la tension monte et l'horreur surgit, MacBurney voyant le contrôle qu'il tente d'exercer sur ses hôtes lui échapper et s'inverser.
Un projet difficile à vendre
En 1971, année de sortie du film, Clint Eastwood est célèbre pour avoir incarné Rowdy Yates dans la série Rawhide, ainsi que le mystérieux Homme sans nom de la trilogie du dollar de Sergio Leone. Des héros à mille lieues du protagoniste ambigu des Proies, un prédateur qui dévoile ses fêlures, ses peurs et fait preuve de lâcheté.
Le studio Universal ne sait donc pas comment vendre le long-métrage, dénué des scènes de bravoure auxquelles Clint Eastwood a habitué son public. Plusieurs titres censés être plus accrocheurs sont proposés, parmi lesquels A Nest of Sparrows ("Un nid de moineaux"), The Beguiling Bastard ("Le Salaud séducteur") et Johnny McB. L'objectif de ces deux derniers est d'avoir "davantage d'impact sur les hommes et d'évoquer davantage le western et le film d'action", comme le rapporte Patrick McGilligan dans l'ouvrage Clint Eastwood - Une légende. Mais Les Proies finit par l'emporter.
Un public de winners pour Clint Eastwood
Bénéficiant d'une excellente réception critique en France, le long-métrage est en revanche un échec au box-office américain, où il rapporte à peine un million de dollars à Universal. À la suite de ce bide, l'acteur principal assure lors d'une interview que ses fans ne voulaient pas le voir se faire "émasculer". Au cours d'un autre entretien, il explique que les rôles de losers ne sont pas pour lui :
Dustin Hoffman et Al Pacino jouent très bien les losers, mais mon public aime s'identifier à un winner. Ce qui n'est pas toujours vu d'un bon œil par les critiques. Mes personnages sont sensibles et ont leurs faiblesses, mais ce sont toujours des winners.
Je n'ai pas la prétention de comprendre les losers. Quand je lis un script sur un loser, je pense aux gens qui sont des losers dans la vie et qui ont l'air de vouloir que ce soit comme ça. Comme une sorte de besoin compulsif. Les winners, eux, se disent : "Je suis aussi brillant que n'importe qui. Je peux le faire. Rien ne pourra m'arrêter ".
Une philosophie qui se ressentira durant tout le reste de sa carrière, hormis à de rares exceptions comme Honkytonk Man, Impitoyable ou encore Gran Torino.