Dans "L'Événement" d'Audrey Diwan, auréolé du Lion d'Or 2021, l'actrice Anamaria Vartolomei interprète une jeune femme qui décide d'avorter dans la France des années 1960. Un film poignant qui renferme des séquences de douleur parfois difficiles à regarder. Comment ont-elle été envisagées ? Éléments de réponse avec la réalisatrice et son actrice.
L'Événement : Lion d'or 2021
En septembre 2021, le jury du prestigieux festival du film de Venise remet son non moins prestigieux Lion d'Or à la réalisatrice française Audrey Diwan pour son film L'Événement.
Adaptation du roman éponyme d'Annie Ernaux paru en 2000, le long-métrage revient sur le parcours d'une jeune femme enceinte dans la France du début des années 60 qui décide d'avorter. Un véritable parcours du combattant à cette époque où l'avortement était interdit et passible de prison.
Filmé en format 1:37, le film épouse le point de vue de son héroïne, magistralement interprétée par Anamaria Vartolomei. Ce cadre immersif mis en place par Audrey Diwan place le spectateur au plus près des émotions traversées par Anne. Y compris dans les séquences les plus dures comme celles de l'avortement.
Tourner les scènes de douleur
Dans son roman, Annie Ernaux n'épargne aucun détail de son avortement au lecteur. Dans une prolongation de son geste, Audrey Diwan a décidé de ne pas non plus détourner le regard lors de ces scènes. Quitte à parfois provoquer des malaises chez les spectateurs. Mais comment ont été envisagées ces scènes ? Lors de notre rencontre en novembre dernier, au moment de la sortie de L'Événement au cinéma, la réalisatrice nous avait confié :
Je pense que est lié au travail que l'on a fait sur la durée de ces séquences, qui fait qu'on les ressent jusqu'à parfois être traversé par un sentiment désagréable. Mais ce que vit mon héroïne est assez désagréable. La juste durée est entre le théorique, donc le moment où on donne une information comme « elle a mal », et la provocation. Il fallait évaluer quelle était la bonne durée.
Pour trouver cette justesse lors des scènes les plus dures, la réalisatrice a préféré ne pas les répéter en amont avec Anamaria Vartolomei, mais les trouver sur le plateau. Quitte à parfois se tromper :
Il fallait prendre le risque de découvrir sur le plateau. Pour moi le risque fait partie de la création. Quand on cherche à avoir trop d’assurance, on perd quelque chose de l’ordre de l’intensité, de la vérité. Donc on a beaucoup parlé du sens des choses, du sens qu’on voulait donner à certaines séquences, et ensuite sur le plateau on a cherché, parfois assises l’une en face de l’autre. Par exemple pour les scènes de douleur, je pensais qu’il fallait que ça passe par des cris. Mais ça ne fonctionnait pas du tout. Et donc je lui disais d’essayer d’inspirer l’air comme si elle allait en manquer. Et moi je faisais pareil, de façon à ce que je vois ce que ça donnait, mais qu’elle voit aussi le résultat. On a cherché comme ça, à tâtons et main dans la main, les sensations les plus justes.
Un minuteur dans l'oreille
Anamaria Vartolomei, qui est de tous les plans de L'Événement, appréhendait le tournage des scènes de douleur.
C'est des scènes qui me faisaient peur, car on ne les avait pas travaillées. Et je savais que c'était des scènes cruciales du film. J'avais peur d'être à côté de la plaque.
Nous avait-elle confié lors de notre rencontre en novembre dernier.
Cette appréhension s'était finalement vite envolée lors du travail de ces scènes directement sur le plateau où elle a travaillé main dans la main avec la réalisatrice. Mais pour une scène en particulier, celle de l'avortement, l'équipe a eu recours à un dispositif spécifique pour aider Anamaria Vartolomei :
Dans cette scène où je suis censée jouer la douleur qui monte crescendo, ils m'ont mis une oreillette qui balançait un tic-tac constant. Et plus la scène avançait, plus je demandais à ce qu'on me mette ce tic-tac plus fort. J'avais l'impression d'être une bombe à retardement.
Pour sa prestation, Anamaria Vartolomei avait été récompensée du César du meilleur espoir féminin 2021.