Cécile de France veut se venger du libertin Edouard Baer dans le film en costumes "Mademoiselle de Joncquières". Une comédie sentimentale où il est question d’amour mais où les personnages restent toujours à distance de la caméra, avec une certaine pudeur. Pourquoi ?
Mademoiselle de Joncquières : vengeance sentimentale
Basé sur Jacques Le Fataliste de Diderot, ayant déjà inspiré Robert Bresson pour Les Dames du bois de Boulogne, Mademoiselle de Joncquières débute avec une confrontation entre Madame de La Pommeraye et le marquis des Arcis. La première, incarnée par Cécile de France, résiste aux tentatives de séduction du second, interprété par Edouard Baer.
Convaincu que le libertin ne sera plus épris d’elle après être parvenu à ses fins, Madame de la Pommeraye réfrène ses sentiments pour lui. Elle finit néanmoins par succomber à son charme. Après une brève accalmie durant laquelle ses doutes s’envolent, elle se persuade que le marquis, de plus en plus distant et occupé à ses affaires, s’est lassé d’elle.
Une fois leur séparation prononcée, le bourreau des cœurs recommence à multiplier les conquêtes. Il se confie sur ses exploits auprès de celle qu’il considère désormais comme sa confidente. Meurtrie par la désinvolture avec laquelle le marquis s’épanche sur ses amours éphémères, Madame de la Pommeraye décide de se venger. Elle met sur sa route Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz). Bouleversé par l’apparente pureté de la jeune femme, le marquis des Arcis devient obnubilé par son souvenir. Il ne pense qu’à la revoir, loin de s’imaginer qu’elle est complice des manigances de celle qu’il estime comme son amie.
L’art de la suggestion par Emmanuel Mouret
Sorti en 2018, le long-métrage d’Emmanuel Mouret est un savoureux jeu de manipulation, où le besoin de vengeance provoque des situations inattendues. Les rôles s’inversent à mesure que le récit avance. Edouard Baer devient progressivement la victime de Cécile de France. La rancune de cette dernière provoque des moments délicieusement absurdes, mais aussi profondément touchants.
Les sentiments forment le cœur de la plupart des conversations de ce film en costumes. Plutôt que de rentrer dans un rapport de proximité avec ses protagonistes, le réalisateur multiplie les plans larges pour s’attarder sur leurs promenades. Mademoiselle de Joncquières garde ainsi une certaine distance vis-à-vis de ses personnages. À l’écran, les corps, les étreintes et les ébats ne sont quasiment pas montrés. Un choix de la part d’Emmanuel Mouret, qui a préféré renforcer la notion d’érotisme en jouant perpétuellement sur la suggestion.
Supposer plutôt que montrer
Lors d’un entretien réalisé en 2018, le réalisateur de Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait nous explique :
Ce que je trouve intéressant dans une scène au cinéma, c’est l’attente du spectateur et le suspense. Dans une relation sexuelle, si elle n’est pas écrite pour qu’il y ait du suspense, on n’est plus en attente, on devient voyeur. Et on ne participe plus au jeu du récit de l’histoire. Dans Basic Instinct de Verhoeven, il y a une scène de sexe mais on se demande s’il va en sortir vivant. Le moment d’attente au cinéma est de savoir si le personnage qui a un désir va arriver au bout de ce désir, car le spectateur projette son propre désir dans celui du personnage.
Dans un moment d’accouplement, si les deux désirs des personnages sont satisfaits, il n’y a pas d’enjeux pour le spectateur qui devient alors passif. Moi, j’essaie de faire plutôt des scènes où le spectateur est actif. Je crois que les moments de cinéma sont quand ils touchent à notre intimité, et ce n’est pas dans ce qu’on voit, mais dans ce que l’on suppose. C’est la base même de l’érotisme.
Un parti-pris particulièrement efficace. Le spectateur est constamment en alerte par rapport aux attentes des personnages. Il devient donc sensible à leur satisfaction ou leur insatisfaction dans cette comédie où les sentiments ne sont jamais figés et toujours imprévisibles.