Durant les années 1940 et 1950, les films noirs étaient à la mode chez 20th Century Fox. Parmi eux : « Mark Dixon, détective », désormais disponible en Blu-ray grâce à l’éditeur Wild Side.
Retour en arrière. 1948. Un roman intitulé Night Cry est publié aux États-Unis. Les lecteurs américains font ainsi la connaissance du policier new-yorkais, Mark Deglin, tout droit issu de la plume de William Stuart. L’intrigue prend place durant un automne ombrageux et pluvieux dans les rues de la Grosse Pomme. Le livre est traduit en français un an plus tard, où il est rebaptisé Passage à tabac. Ce titre, peu équivoque, rend compte d’une œuvre littéraire où se mêlent violence et affaire(s) criminelle(s). Malheureusement, il n’a pas été réédité depuis lors et n’est plus commercialisé. Les intéressés devront donc se rabattre sur les vide-greniers et les affaires d’occasion sur le net.
Des pages à l’écran
En pleine ascension artistique mais aussi réputationnelle, Otto Preminger réalise l’adaptation cinématographique de Night Cry. Il accorde alors sa confiance à Dana Andrews et Gene Tierney, avec qui il a déjà collaboré sur Laura (1944), afin d’incarner les deux protagonistes. La renommée de l’actrice qui « crève l’écran » à chacune de ses apparitions n’est plus à faire. Andrews est, lui, moins reconnu par Hollywood, puisqu’il ne fut jamais nominé aux Oscars contrairement à sa co-star. Suite à son décès, sa filmographie comporte cependant le nombre incroyable de 105 participations qui s’étendent de 1940 à 1984. L’américain n’a clairement pas chômé.
Le scénario de Mark Dixon, détective (1950) fut confié à Ben Hecht. Ce dernier avait déjà remporté deux Oscars au cours de carrière avec Les nuits de Chicago (1927) et Le gougat (1935). Le « politiquement correct » de l’époque le pousse malgré lui à remanier son script suite à l’intervention de la censure. Un personnage homosexuel est supprimé, et l’addiction à la drogue de l’adversaire principal, Tommy Scalise (Gary Merrill), est subtilement suggérée.
Mark Dixon, détective : une adaptation teintée de nuances de gris
Une investigation policière prend une tournure très différente lorsque Mark Dixon (Andrews) tue son suspect Ken Paine (Craig Stevens). Bien qu’il s’agisse d’un accident, le représentant de l’ordre décide de maquiller la scène du crime et de se débarrasser du corps en le jetant à l’eau. Par ses propres choix pris sous l’effet de la panique, cette tragédie est redéfinie en tant que meurtre. Il profite de cette opportunité pour incriminer officieusement Scalise, un bandit, qu’il cherche à mettre derrière les barreaux depuis une éternité. Fâcheusement pour lui, un autre coupable potentiel est désigné du doigt. Pour cause, tout semble pointer dans la direction de Jiggs Taylor (Tom Tully), selon la brigade qui n’a qu’une hâte : celle de classer l’affaire.
Chauffeur de taxi, il est également le père de l’ex-femme du défunt, la modèle Morgan (Gene). Enragé par le fait que Paine ait frappé sa fille la veille au soir, celui-ci s’est rendu (inutilement) chez l’homme dans le but de lui donner une raclée. Rongé par le remord et la culpabilité, Dixon se donne pour mission d’épargner l’accusation à Jiggs. Pour se faire, il s’allie avec la jeune demoiselle pour laquelle il éprouve presque instantanément des sentiments allant à l’encontre du bon sens.
Si Mark Dixon, détective a tout du film noir cliché à la lecture de son synopsis, il en est tout autre. Preminger ne se contente pas des ingrédients caractéristiques à ce courant (ou « genre » selon les préférences). Au contraire, il en repousse les limites et y insuffle de la nouveauté à travers la psychologie et la profondeur apportées à ses personnages. Le temps n’est plus au pessimisme mais à la rédemption, et le point de vue manichéen est mis au placard en étant remplacé par une approche qui gagne en souplesse et en dégradé de gris. Dès lors, le héros est dépossédé de sa sacralisation en vertu d’une personnalité davantage torturée. Ses motivations à occuper sa fonction sont floues, et ne se résument pas au topo habituel du « il veut sauver le monde des méchants ». Non, il s’agit d’une raison parmi tant d’autres plus égoïstes. Tente-t-il désespérément de redorer le blason de sa famille meurtri par le passé criminel de son paternel ? Ou bien est-il la victime d’une violence intérieure ancrée dans ses gènes qu’il ne peut légalement exprimer en dehors de son cadre professionnel ? Ces deux hypothèses sont notamment validées par le caractère impulsif et bagarreur de Dixon qu’il tente de refréner, tel un venin qui ne cesse de se propager dans ses veines. Ne pas reproduire les mêmes erreurs que son géniteur n’est pas un principe aussi évident qu’il n’y paraît. Finalement, il n’est pas si éloigné des gangsters qu’il traque.
En outre, ce polar est l’occasion rêvée par le réalisateur afin d’offrir une critique forte et sans concessions du système judiciaire américain. Ce n’est guère étonnant venant d’une personnalité forte osant aborder des sujets et des problèmes sociaux tabous il y a de cela plusieurs décennies. Otto Preminger réitère un examen similaire neuf ans plus tard, en dirigeant James Stewart (Sueurs froides) et Lee Remick (La malédiction) dans Autopsie d’un meurtre.
Les différentes éditions Blu-ray dans le monde
Distribué en France par Wild Side, Mark Dixon, détective n’en est pas à sa première commercialisation sur la galette bleue. Il est disponible à l’unité en Espagne depuis 2015, ainsi qu’en Angleterre dans un coffret regroupant trois films de Preminger. Les États-Unis et Twilight Time ont, eux, misé sur la carte de l’exclusivité en éditant le long métrage à seulement 3 000 exemplaires en février 2016. Le Blu-ray est maintenant difficile à trouver, ou bien à des prix exorbitants.
Test Vidéo/Audio
L’œuvre cinématographique de 94 minutes est présentée dans son format 4/3 original (1.33:1). Ce respect pour son époque et sa mise en scène se qualifie par l’utilisation de « barres noires » de chaque côté de l’écran. Remerciements à Wild Side pour ne pas avoir imposé un recadrage 16/9.
Tourné en noir et blanc, Mark Dixon, détective démontre un soin particulier témoigné à ses jeux d’ombres et de lumières, véritable miroir des songes et actions des protagonistes. S’en est d’autant plus vrai que la restauration 4K effectuée par la Fox est plus riche que celle proposée sur le disque en Grande-Bretagne. Moins contrastée, « brutale », son grain est aussi plus doux et discret. Cet éventail de nuances atténue les blancs criards, et débouche les noirs bouchés, mettant un terme à une vision « dualiste » de l’image. La photographie de Joseph LaShelle (La garçonnière) est plus éclatante que jamais.
Les plans bénéficient de davantage d’informations, tel un zoom arrière exécuté sur le disque anglais. Les détails foisonnent, notamment pour les vestes dont les coutures et les matières sont aisément identifiables. La texture de la peau des acteurs est quant à elle dévoilée par des gros plans terriblement efficaces. Le nettoyage opéré par Fox est impressionnant puisqu’aucune trace de débris, de griffures, ni des points blancs et autres dommages ne sont à relever.
Quant à l’audio, seule une piste originale encodée en DTS-HD Master 2.0 est incluse. À noter que les sous-titres français sont imposés. Ce n’est pas un problème en soi, même si l’on apprécie que le spectateur ait le choix des options de visionnage. L’audio est correct, sans distorsion, mais aurait gagné à être un peu plus puissante pour que le public n’ait pas à augmenter le son. Les voix sont claires et intelligibles. Il est difficile d’en demander plus étant donné l’âge et le style de l’œuvre.
Test Bonus
Wild Side a soigné son édition ! Déjà mise en avant par son artwork original et de bon goût, les suppléments offerts sont tous dignes d’intérêt. Les passionnées regretteront cependant l’absence du commentaire audio du spécialiste du film noir Eddie Muller, ainsi que la piste isolée des musiques du film. Ces deux bonus sont disponibles sur le Blu-ray américain.
- Film-annonce (1:45 min) : en version originale non-restaurée sous-titrée.
- Gene Tierney, une star oubliée (52:09 min) : documentaire produit en 2016 par Wichita Films & OCS, et réalisé par Julia et Clara Kuperberg. Les intervenants sont nombreux : Martin Scorsese (Le Loup de Wall Street), Molly Haskell (critique de cinéma), Joseph McBride (historien du cinéma), et plusieurs petits-enfants de l’actrice dont Alexandre Cassini Belmont et Delphina Del Pozo. Le moyen métrage est narré par l’interprète Barbara Weber Scaff, qui conte les mémoires de Tierney. Pendant près d’une heure, la vie personnelle et professionnelle de cette dernière sont mises sous le feu des projecteurs. Les anecdotes pleuvent. Nous apprenons notamment qu’elle fut repérée lors d’une visite d’un studio, qu’elle était l’une des « Fox Girls », et que sa réaction face au visionnage de son premier film fut… Qu’elle détestât sa voix ! Mais Hollywood n’est pas tendre avec la femme qui travaille avec des réalisateurs qualifiés de « tyrans ». Les interviewés reviennent également sur la dépression de l’interprète de Morgan, sa première grossesse difficile, et sa relation avec le futur président des États-Unis : John Fitzgerald Kennedy. Le supplément se finit sur une note positive, présentant une personne heureuse et accomplie. De multiples extraits d’archives (bouts d’essais, vidéos privées…) et de films tirés de son curriculum vitae viennent ponctuer le documentaire.
- Otto Preminger, cinéaste par Peter Bogdanovich (33:24 min) : ce supplément est présenté par l’acteur, critique et réalisateur américain qui commente la filmographie de Preminger. Parmi les films mentionnés : le « branché et très raffiné » Laura (1944) et Mark Dixon avec ses scènes tournées sans coupure. L’esprit pionnier du réalisateur est un des traits sur lequel Peter Bogdanovich (Broadway Therapy) se focalise avec attention. En effet, il a été le premier cinéaste réputé à utiliser le format cinémascope pour le tournage de Rivière sans retour avec Marilyn Monroe. Il a aussi « brisé la liste noire d’Hollywood » en travaillant avec un scénariste déprécié sur Exodus (1960). Connu pour aborder des problèmes sociaux, économiques, religieux et politiques à travers ses créations, Preminger se différencie de ses contemporains. Bogdanovich conclut en partageant une énième anecdote : à savoir que l’homme aurait aimé réaliser Question ouverte, film portant sur l’affaire Rosenberg. L’entretien a été mené en 2006, mais sa présentation a été remaniée en 2017 par Fiction Factory. Plusieurs extraits et affiches viennent illustrer ce documentaire.
- Livret (60 pages) : mis en page dans une présentation semblable à celle du coffret, son texte est écrit par Frédéric Albert Lévy. L’auteur revient entre autres sur les divergences artistiques rencontrées par Otto Preminger et Darryl Zanuck de Fox, sur les remaniements du scénario, et sur les critiques concernant Mark Dixon, détective. Quantité de photos, parfois rares, viennent enrichir ces dizaines de pages.