Megalopolis : Francis Ford Coppola, entre génie et WTF

Megalopolis : Francis Ford Coppola, entre génie et WTF

CRITIQUE/AVIS FILM - Francis Ford Coppola offre avec "Megalopolis" une expérience de cinéma phénoménale, unique, aussi grandiose que ridicule, dont la générosité et l'audace sont renversantes. Explosant tout ce qu'on connaît du cinéma, "Megalopolis" est sans doute imparfait, trop vertigineux et monstrueux, mais qu'attend-on du grand cinéma si ce n'est ces sensations uniques ?

Le retour exceptionnel de Francis Ford Coppola

Présenté en compétition au Festival de Cannes 2024, Megalopolis de Francis Ford Coppola en était l'oeuvre la plus attendue. Un véritable événement : 13 ans après la sortie de Twixt, le légendaire cinéaste revient là où il a remporté deux Palme d'or, en 1974 pour Conversation secrète et 1979 pour Apocalypse Now. Et son nouveau film, tourné pour 120 millions de dollars que Francis Ford Coppola a sortis de sa propre poche, grande fable humaniste de science-fiction et tragi-comédie familiale, est une proposition aussi fantastique qu'inclassable.

Megalopolis
Megalopolis ©Le Pacte

À New Rome, métropole new-yorkaise rêvée, l'inventeur et architecte Cesar Catilina (Adam Driver) a conçu une matière impérissable en tentant - en vain - de sauver son épouse de la mort. Urbaniste star, génie créatif, il incarne l'idée d'un dieu dont on attend la création qui sauvera la civilisation d'elle-même. Mais Frank Cicero (Giancarlo Esposito), maire de New Rome aux idées traditionnelles et initiatives clientélistes, ne souhaite pas cette renaissance. Pas plus que Clodio (Shia LaBeouf), le cousin jaloux de Cesar, fêtard invétéré aux idées de grandeur et complètement irresponsable.

Autour d'eux, entre autres, une mère qui n'aime pas son fils (Talia Shire). Une présentatrice intrigante aussi, Wow Platinium (Aubrey Plaza), vénale et usant de son irrésistible charme sexuel. La fille du maire, avant tout peut-être, Julia (Nathalie Emmanuel), engagée dans une belle histoire d'amour avec Cesar. Aussi, l'oncle multi-milliardaire (Jon Voight) de Cesar et grand-père de Clodio, et son ami incarné par Dustin Hoffman, anciennes figures de New Rome.

Megalopolis, du jamais vu

Il ne faut pas le cacher. À l'issue des projections presse et de la projection officielle cannoise, les huées ont concurrencé les applaudissements. Il y a eu des rires moqueurs, des satisfactions sonores, quelque chose s'est passé. D'abord, parce que la générosité de Francis Ford Coppola est renversante. Tragédie familiale new-yorkaise qui lorgne vers Le Parrain, essai de science-fiction à la définition visuelle inédite - Megalopolis a été tourné avec la technologie de Prysm Stage -, comédie portée par Shia Labeouf et un Jon Voight à la performance absurde, romance émouvante avec Nathalie Emmanuel, récit mythologique sur le destin de l'humanité avec ses références constantes à la chute de l'empire romain...

Megalopolis
Megalopolis ©Le Pacte

Citations philosophiques, narration en voix-off par Laurence Fishburne - révélé dans Apocalypse Now - traité politique et soap opera avec son affaire de sex tape... Submergé par ses intentions et ses moyens, impossible à digérer immédiatement, Megalopolis tord quand il ne les contourne pas les références communes du récit cinématographique contemporain. C'est simple, Megalopolis pourrait être un premier long-métrage, dans sa fraîcheur et son excès formidable de générosité, dans sa passion appuyée pour l'image et pour la sensation cinématographique.

À 85 ans, Francis Ford Coppola tire peut-être sa révérence avec un blockbuster art et essai, osant des images que n'importe quel producteur aurait préalablement rayées du plan, de peur que leur esthétique unique soit caractérisée comme une aberration, et ça l'est parfois. Fusion de plans de valeurs différentes, cadres larges de destruction et cadres serrés sur des visages outrageusement maquillés, CGI appliqués aussi bien pour des décors phénoménaux que pour métamorphoser intimement les corps...

Une expérience précieuse

Sans oublier, signe encore du caractère expérimental de Megalopolis, que durant la projection cannoise quelqu'un est monté sur scène pour poser une question au personnage d'Adam Driver, cadré en réduction comme une fenêtre Zoom et qui répond à cette question. Oui, il y a du grand n'importe quoi. Mais cette générosité, cette liberté, qui font passer le spectateur par tous les jugements et sensations, finit par toucher pleinement au coeur. Voici du cinéma, du grand cinéma, dans sa folie, son refus des limites et des conventions, ses idées esthétiques contre-intuitives et sa réflexion méta sur le temps qui passe.

Passé un premier visionnage, le temps fera son oeuvre et Megalopolis sera sans doute plus saisissable, plus lisible, et peut-être sera-t-il décevant. On ne sait pas. Et parce qu'elle pousse le spectateur à tout renverser, tout réévaluer et tout réinventer, le monde comme soi-même, cette incertitude est tellement, tellement précieuse.

Megalopolis de Francis Ford Coppola, en salles le 25 septembre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Megalopolis

Difficile de percevoir Megalopolis comme n'importe quel autre film, parce que Francis Ford Coppola n'est pas n'importe quel cinéaste. Film fou, monstre dessiné dans les années 80 et réalisé dans les années 2020, "Megalopolis" se contredit en permanence, entre traits de génie et absurdités grotesque, désir de cinéma et plaisir de ne pas respecter les règles. Oeuvre terminale d'un des plus grands cinéastes de l'histoire, "Megalopolis" est une expérience de cinéma bien trop rare pour ne pas être vu et revu.

Note spectateur : 3 (1 notes)